- Titre du livre: Underground
- Auteur: Haruki Murakami
- Traduit de l’anglais par Dominique Letellier
- Editeur: Belfond
- 592 pages – Format: broché – ISBN: 9782714454164
- Parution: 07/02/2013
Il existe également au format poche, aux éditions 10/18.
Description du livre
Livre d’entretiens, mais aussi réflexion philosophique et autobiographique, un essai indispensable pour décrypter l’œuvre de l’auteur de 1Q84, la trilogie au succès planétaire.
Le 20 mars 1995 se produisait l’attentat le plus meurtrier jamais perpétré au Japon : en pleine heure de pointe, des adeptes de la secte Aum répandent du gaz sarin dans le métro de Tokyo, tuant douze personnes, en blessant plus de cinq mille.
Très choqué, mais aussi révolté par le traitement médiatique par trop manichéen de la tragédie, Murakami va partir à la rencontre des victimes et de leurs bourreaux : rescapés du drame et adeptes de la secte.
Au fil des entretiens apparaissent tous les grands thèmes chers à Murakami : l’étrangeté au monde, l’impossible quête d’absolu, le mal venu des profondeurs, ces little people présents en chacun de nous, incarnations des forces destructrices qui nous font basculer parfois vers l’irréparable …
Mon opinion
Aujourd’hui est un jour un peu spécial, car cela fait 27 ans, jour pour jour, que les attentats du métro de Tokyo ont été perpétrés. J’avais déjà entendu parler de cet évènement, évidemment, mais jamais dans le détail. Alors la lecture de cet ouvrage s’est avérée extrêmement intéressante.
Mais commençons d’abord par présenter son auteur.
Sa réputation n’est plus à faire en Occident, Haruki Murakami a déjà prouvé à moultes occasions à quel point sa plume et sa prose étaient affutées. Auteur de romans à succès, mais aussi de nouvelles et d’essais, il a reçu de nombreuses récompenses.
Underground diffère beaucoup des autres œuvres au succès planétaire de Haruki Murakami. Mais selon de nombreux critiques, sa lecture est essentielle pour décrypter en profondeur son travail. Peut-être faut-il commencer par expliquer pourquoi il a décidé de mener ce projet.
Les attentats ont fait l’objet d’un très grand battage médiatique évident, qui est cependant resté très axé sur les membres de la secte Aum, et ce, au détriment des victimes. Ce biais a autant choqué que révolté l’auteur qui a pris la décision d’y remédier.
Haruki Murakami a commencé à travailler sur ce projet probablement dès l’année 1995, en cherchant d’abord à recenser les victimes des attentats. Ce ne fut pas une entreprise facile, mais à l’aide de deux assistants et d’une recherche minutieuse dans les médias de l’époque et le bouche à oreille, ils parvinrent à en identifier quelques-uns qui acceptèrent de lui parler.
En effet, de nombreuses personnes préférèrent ne pas revenir sur ces évènements, soit parce qu’elles avaient peur des représailles éventuelles de la secte, soient parce qu’elles minimisaient l’impact que cet évènement avait eu sur leur vie, soient parce que leurs familles refusaient d’être liées à cet évènement.
L’étape d’identification terminée, il a pu commencer à mener des entretiens, tant avec les victimes qu’avec des membres de la secte, au début de l’année 1996. Ces entretiens ont duré presque un an.
L’auteur explique dans la préface que les entretiens duraient en moyenne une à deux heures, mais que certains auront duré jusqu’à quatre heures. Il les enregistrait, avec l’accord de ses interlocuteurs, sur des bandes. Ce sont ces enregistrements qui ont constitué la base de travail pour son ouvrage.
Tous les témoignages présents dans ce livre ont été soumis à la validation des témoins, qui avaient également la possibilité de faire retirer des passages qu’ils ne souhaitaient finalement plus y voir figurer. C’est important de le souligner car l’auteur a mis un point d’honneur à respecter le consentement des témoins qu’il a interrogé.
Au début de chaque entretien sont mentionnés des éléments biographiques, qui permettent de rendre la personne plus réelle, plus humaine. Ce qui rend d’ailleurs souvent la suite du témoignage très difficile à lire.
Par ailleurs, comme je l’ai dit plus haut, Haruki Murakami s’est également intéressé au témoignage de quelques anciens membres de la secte Aum, afin de mettre un peu en lumière pourquoi et comment des individus ont pu rejoindre ce genre de groupe et comment les choses ont évolué, et surtout les montrer sous un jour humain (ce que les médias ne faisaient pas du tout). L’auteur ne prend pas de partie, mais il me semble important de souligner que tous les membres de la secte n’étaient pas impliqués.
J’ai trouvé la lecture de ce livre très instructive. Difficile aussi, par moment. Souvent même. La façon dont les victimes, qui ont été plus ou moins impactées par les attaques, certaines qui souffriront à vie des séquelles physiques, d’autres dont les séquelles sont intangibles mais cependant bien réelles, s’expriment sur ces évènements m’a profondément secouée.
Deux choses m’ont particulièrement marquées durant ma lecture.
La première fut surtout une surprise : c’est seulement grâce à ce livre que j’ai appris qu’il n’y avait en réalité pas eu une attaque unique. En effet, plusieurs attaques été planifiées simultanément, sur plusieurs lignes du métro de Tokyo : la ligne Chiyoda, la ligne Marunouchi et la ligne Hibiya. Six attaques simultanées, qui ont abouti en l’attentat le plus meurtrier jamais perpétré au Japon.
La seconde est cette façon qu’ont la plupart des témoins de minimiser un peu leur traumatisme d’une part, et de rester calme en y repensant d’autre part. Je n’ai jamais vécu de traumatisme comparable, mais je me serai attendue à de la colère, à l’encontre des attaquants, mais aussi de la secte elle-même. Peut-être même envers les secours qui se sont retrouvés fort démunis face à l’ampleur du désastre et ont mis un peu de temps à s’organiser.
Mais non, loin de là. Peut-être est-ce dû aux différences culturelles entre les sociétés française et japonaise.
Mais plus étonnant encore, nombre de passagers ce jour-là ont décidé de poursuivre la route jusqu’à leur lieu de travail, certains travaillant toute la journée sans savoir qu’il s’était passé quelque chose d’horrible, sans réaliser qu’ils avaient été contaminés au gaz sarin. D’autres ne se rendant à l’hôpital que parce que leurs collègues, en entendant les flashs info et voyant leur état, ont insisté.
On ne sait jamais comment on va réagir dans une situation de ce genre. Surtout que les attaques n’étaient pas forcément très visibles : les assaillants se sont « contentés » de percer des poches de sarin, enveloppées dans du papier journal, avec la pointe d’un parapluie, avant de quitter la rame rapidement. D’un point de vue extérieur, pour un passager qui se rend au travail la veille d’un jour férié, tôt le matin, en transport en commun, on peut comprendre que ce soit passé inaperçu sur le moment.
Pour conclure, je dirais que ce livre me paraît vraiment très important à lire. Malgré la dureté des témoignages, j’en recommande vivement la lecture. Ne serait-ce qu’en mémoire des personnes qui ont succombées lors des attaques et de toutes celles qui en subissent encore les conséquences.
Emprunté auprès d’une amie en octobre 2021 – Fiche rédigée le 26/02/2022