Le premier anniversaire : l’occasion d’un rituel à la symbolique forte

Demain, nous serons le 28 mars, une date importante pour nous. En effet, cela fera donc une année entière que nous avons lancé le blog. Une année durant laquelle nous avons pris énormément de plaisir à partager nos centres d’intérêts avec vous, à vous présenter nos lectures et à échanger avec certains et certaines d’entre vous sur notre compte Instagram.

Ce premier anniversaire est l’occasion pour nous de vous présenter une tradition encore très présente dans les pays d’Asie du Sud-est, mais pourtant assez méconnue en Occident. Nommée différemment selon les pays, vous la connaissez peut-être sous le terme 選び取り erabitori, au Japon ou encore 돌잔치 doljanchi, en Corée du Sud.

Mais d’où vient cette tradition ?

Cette tradition, originaire de l’empire du milieu, daterait des dynasties du Sud et du Nord, 南北朝 nánběicháo en chinois, une période qui s’étend de 439 à 589, et durant laquelle la Chine était divisée entre plusieurs dynasties, elles-mêmes séparées en deux ensembles par une frontière fluctuante, généralement située au nord du Yangzi, voire même des dynasties antérieures, en premier lieu les Wei 魏, sous les Royaumes Combattants (220-280), et les Jin 晉 (265-420), selon un professeur de l’université taïwanaise de Jingyi.

Un livre retraçant « The Family Instructions of Master Yan » (顏氏家訓 Yánshì jiāxùn), écrit par un dénommé Yan Zhitui au VIe siècle, fait état d’un rituel similaire chez la dynastie des Qi du Nord 北齊, et de nombreux écrits, dont les plus anciens datent de la dynastie des Song 宋朝 (960-1279) indiquent qu’il était également populaire dans les régions au sud du Yangzi.

Cette tradition se serait donc répandue progressivement dans toute la Chine lors de la dynastie des Sui 隋朝 (581-618), puis des Tang 唐朝 (618-907). On l’appelait alors Shizui ou Zhouzui.

Lors des dynasties suivantes, les Yuan 元朝 (1271-1368) et les Ming 明朝 (1368-1644), le rituel gagne encore en popularité, et est connu sous le nom Jiyang. Ce n’est qu’à partir de la dynastie des Qing 清朝 (1644-1912) que l’on commence à l’appeler Zhuazhou.

Une petite frise simplifiée pour situer les différentes dynasties

Selon la catégorie sociale, la tenue du rituel variait plus ou moins. Ainsi, le type de cérémonie organisé par la famille impériale ou les nobles et officiels de haut rang était bien plus solennel et contenait bien plus de procédures (plus ou moins compliquées) que celui organisé par le peuple.

Au moment où la République de Chine prend le pouvoir en 1912, la cérémonie de Zhuazhou est encore très populaire dans le pays. L’étiquette se simplifie grandement, et on n’organise plus de grands banquets.

La cérémonie est généralement organisée en milieu de journée, vers midi. Les proches viennent spontanément pour célébrer l’anniversaire de l’enfant, en lui offrant de petits cadeaux, généralement de la nourriture et des jeux. Et les personnes âgées qui rencontraient l’enfant pour la première fois lui offraient généralement une pièce de monnaie, qui était attachée autour de son cou à l’aide d’un fil.

Le rituel reste encore très respecté en Chine, en particulier dans le nord du pays, ainsi que dans quelques villes du sud.

Comment se déroule-t-il ?

Zhuazhou s’écrit avec les caractères 抓週, ce qui signifie littéralement « attraper » et « anniversaire ». Ce rituel se déroulait durant le premier anniversaire de l’enfant.

Dans un pays où l’astrologie joue un rôle capital dans le déroulé de la vie de chaque individu, ce rituel permettait, d’une certaine façon, de vérifier les informations obtenues grâce à l’horoscope réalisé à la naissance de l’enfant.

On peut facilement comprendre l’importance d’une telle célébration dans la mesure où, par le passé, le taux de mortalité infantile était particulièrement élevé, et de nombreux enfants mourraient avant leur premier anniversaire. Parvenir à une année d’existence constitue donc une étape importante, tant pour l’enfant que pour le reste de la famille.

Le jour de la cérémonie, les parents prient les ancêtres afin d’assurer une croissance en bonne santé pour leur enfant. Vient ensuite le moment de la cérémonie en elle-même.

Les parents disposent différents objets devant l’enfant, le plus souvent des objets symbolisant un métier ou des traits de caractères. Parmi les objets, on peut donc retrouver par exemple de l’argent, un stylo, un livre, une calculatrice, une balle, etc.

Traditionnellement, les objets proposés correspondaient globalement à la catégorie sociale de la famille.

Leur nombre est généralement un multiple de 6 (6, 12, 18, etc.), en raison de la signification de bon augure de l’expression 六六大順 liùliù dà shùn, qui exprime le souhait que « tout se passe bien », et qui contient deux fois le caractère correspondant au chiffre 6.

Le choix de l’enfant permet, selon les croyances, de prédire son avenir.

Quelque soit l’objet choisi, les parents sont supposés prononcer quelques mots de bon augure. Ce type de tradition est, comme souvent lorsque cela concerne les enfants, principalement tenu pour les parents et grands-parents, afin d’entretenir leurs espoirs dans le futur de l’enfant.

On peut citer quelques exemples pour les objets les plus courants.

Si l’enfant choisit le livre, il deviendra probablement un lettré, tandis que le stylo et l’encre lui vaudront de devenir écrivain ou journaliste. Le sceau, très utilisé en Chine, signifie un poste officiel de haut rang, alors que la calculatrice (ou boulier de façon plus traditionnelle) renvoie vers un travail d’homme d’affaire ou de comptable.

Comme vous le voyez, certains objets ont une signification assez évidente. On aurait aussi pu mentionner le stéthoscope qui renvoie vers le travail de médecin ou d’infirmier(ère), l’épée pour intégrer l’armée ou la police ou encore la paille pour l’agriculture.

Mais d’autres objets sont bien moins évidents à deviner, pour nous autres Occidentaux.

Qui serait capable de deviner la signification de l’oignon ? Il n’y a pas de rapport avec l’agriculture ici. En fait, oignon se dit 葱 cōng en chinois, ce qui se prononce de la même manière que le caractère 聪 cōng qui veut dire intelligent.

La question se pose encore une fois pour l’ail 蒜 suàn, qui, vous vous en doutez, ne se réfère une fois encore pas à l’agriculture ou aux métiers de la bouche. Il partage en fait la même prononciation que le mot 算 suàn, qui signifie calcul. Choisir l’ail implique donc être doué en calcul.

Cependant, la symbolique associée à chaque objet n’est plus aussi stricte qu’elle pouvait l’être par le passé, et désormais, elle peut varier d’une personne à l’autre (l’important étant simplement de fixer une symbolique à chaque objet AVANT de procéder à la cérémonie).

Par ailleurs, il est maintenant assez fréquent que les objets soient remplacés par des cartes les représentant, par souci de commodité et de sécurité pour l’enfant.

Exemple de cartes vendues sur le site Minne (@torisun_shop)

Et les parents, comme tous les parents du monde, souhaitent voir leurs enfants réussir. Dans la tradition chinoise, on dit que l’on souhaite voir son fils devenir un dragon et sa fille un phénix, deux animaux mythologiques très appréciés, voire adulés dans l’empire du milieu.

Ainsi, il arrive que certains parents tentent d’orienter le choix de leur enfant lors de la cérémonie de Zhuazhou, en lui présentant à l’avance certains objets en particulier à plusieurs reprises. Stratégie qui s’avère souvent payante le jour de la cérémonie.

A l’inverse, si on souhaite ne pas du tout l’influencer, il vaut mieux éviter d’utiliser ses jouets ou des objets avec lesquels il est familier.

Et dans le reste de l’Asie ?

Comme je vous le disais dans l’introduction, on retrouve cette tradition dans plusieurs pays d’Asie. J’ai déjà mentionné le Japon et la Corée, mais c’est aussi le cas au Vietnam, où on l’appelle Thôi nôi, au Kazakhstan avec тұсаукесер tusaukeser ou encore en Arménie avec le rituel de Agra Hadig.

Bien que globalement similaire (l’enfant doit choisir un objet lors de son premier anniversaire), il peut y avoir des différences plus ou moins visibles, dues à la façon dont cette tradition a été incorporée à une culture déjà existante.

Dans cet article, je vais seulement développer la façon dont cette tradition fonctionne à Taïwan et au Japon.

🇹🇼 Taïwan

Aujourd’hui, cette tradition a pris, à Taïwan, une dimension presque commerciale, avec l’organisation d’activités, qui font un peu penser à une réplique du festival de la mi-automne. Initialement, il y avait en général douze objets proposés durant Zhuazhou, mais de nos jours, on retrouve plus aisément dix-huit, voire plus.

Historiquement dans la tradition taïwanaise, les grands-parents paternels et maternels de l’enfant lui envoyaient des tortues rouges et roses, sur lesquels on posait l’enfant. Ces tortues, surnommées 摃龜 káng guī, soit littéralement les tortues porteuses, illustraient la volonté de voir l’enfant marcher, et ne plus tomber à l’avenir.

Par ailleurs, les cérémonies liées à Zhuazhou n’ont jamais été organisées de façon collective. Il s’agit d’un rituel privé, organisé uniquement à l’échelle de la famille. Mais ces dernières années, il existe de plus en plus de services offrant un accompagnement complet aux familles pour l’organisation de la cérémonie, ainsi qu’une séance photo à chaque étape.

Il y a quelques étapes importantes, peut-être même primordiales pour les Taïwanais : la façon d’habiller l’enfant, se purifier et prier les ancêtres, les choix des objets permettant de deviner son futur, et goûter quelques aliments au symbolisme favorable.

En premier lieu, il convient d’habiller convenablement le bébé : afin d’attirer la chance, on le revêt d’une tenue spéciale, souvent dans les tons rouges, ainsi qu’un bonnet et des chaussons en forme de tigre. On peut ensuite lui mettre un bracelet fait de perles en pierres précieuses ou semi-précieuses : le matériau n’est pas très important, en revanche, les billes doivent être bien rondes, symbolisant ainsi de bonnes ressources financières pour le futur.

On lave ensuite les mains de l’enfant, l’eau permettant de retirer les éventuelles impuretés et ondes néfastes qui pourraient l’entourer. Une fois qu’il est propre, les parents prient les ancêtres, en leur demandant d’aider l’enfant à grandir paisiblement.

Vient ensuite l’étape des tortues : elles vont généralement par deux, l’une représentant la bonne fortune et l’autre la longévité. Le format que ces tortues revêtent de nos jours varie selon les familles. Il peut s’agir de boîtes en forme de tortues, ou de petites figures en polymère. On en trouve assez facilement sur Internet pour moins de 10€. Il suffit simplement d’y poser les pieds de bébé dessus pour lui garantir un futur long et prospère !

Les parents présentent également quelques aliments à leur enfant : on lui fera ainsi renifler une cuisse de poulet et manger du riz, mais également tenir un céleri 芹 qín (qui ressemble phonétiquement à 勤 qín , qui signifie travailleur et implique donc que l’enfant sera concentré sur ses études), ainsi qu’un oignon et de l’ail (qui, comme je le disais plus haut, se prononcent respectivement comme “intelligent” et “calcul”).

Et on arrive finalement sur la sélection des objets par l’enfant, qui ne diffère pas tellement par rapport à la façon de faire dans les autres pays. L’usage de cartes, en lieu et place des objets réels, est très répandu.

Pour conclure sur la cérémonie à la taïwanaise, le côté rituel a grandement perdu de sa valeur au cours du temps. Ainsi, plus que de tenter de prédire l’avenir de l’enfant, les parents y voient une occasion de se créer de beaux souvenirs pour le premier anniversaire de leur bébé.

🇯🇵 Japon

On ne sait pas vraiment quand exactement cette tradition est apparue au Japon. Le plus ancien écrit la mentionnant date de l’époque Sengoku 戦国時代, littéralement l’époque des provinces en guerre (1467-1615), et elle a probablement été introduite au Japon depuis la Chine, par le biais de la Corée.

Nommée Erabitori 選び取り, son processus semble globalement très semblable à celui de Zhuazhou. Chaque région et famille a cependant sa propre façon de faire. Par exemple, certains considèrent que le premier objet (ou carte) touché par l’enfant prédirait sa personnalité, tandis que le second prédirait sa carrière future.

Erabitori est souvent accompagné d’une autre tradition, typiquement japonaise, appelée Isshou Mochi, ou Isshou Mochi no Oiwai (一升餅のお祝い). Cette tradition consiste à faire porter à l’enfant un mochi pesant deux kilogrammes, enveloppé dans un furoshiki.

L’usage du mochi dans une telle célébration n’est pas surprenant, tant on le retrouve dans toutes les célébrations et traditions importantes, comme le Nouvel an, Hina Matsuri, etc., et relève ici d’une grande symbolique.

Si on se penche sur le nom 一升餅 Isshou Mochi, on peut voir que le caractère 升 est une unité de mesure, souvent utilisée pour mesurer le sake ou le riz, et qui équivaut à 1,8 litres ou 1,8 kilogrammes selon les cas. Et c’est précisément la quantité de riz utilisée pour préparer ce gros mochi.一升 isshou a également la même prononciation que les kanji 一生, qui peuvent se traduire par la « durée de vie ». Cette homonymie permet donc d’indiquer la volonté de voir l’enfant vivre longtemps et en bonne santé, sans jamais manquer de nourriture.

Enfin, la forme ronde et plate du mochi représente un enfant vivant une vie harmonieuse et heureuse. Et comme cet énorme mochi de presque deux kilos est très lourd pour un enfant âgé de seulement un an, le porter symbolise la capacité de l’enfant à se tenir sur ses propres jambes et à être indépendant dans la vie.

Et si l’enfant ne parvient pas à tenir sur ses jambes, ce n’est pas un problème dans la mesure où la chute a également une signification positive. Par exemple, on considère dans certaines régions que le fait de tomber, ce qui se dit 落とすotosu en japonais, permet de se débarrasser de la malchance (厄落とし yakuotoshi). Dans d’autres régions, on y verra le symbolisme d’un enfant qui restera longtemps à la maison auprès de ses parents.

Par ailleurs, cette tradition n’est pas pratiquée de la même façon dans tout le Japon. Dans certaines régions, comme à Kyushu par exemple, il est coutume de faire marcher l’enfant sur le mochi, au lieu de le porter. On appelle cela 踏み餅 fumi mochi, ce qui symbolise le fait de vivre une longue vie.

Il n’est pas forcément indispensable de le faire le jour même de l’anniversaire, cela peut avoir lieu durant la semaine précédente ou suivante. Par ailleurs, cette tradition, pratiquée depuis bien longtemps (même si on ignore depuis quand exactement), varie d’une région à l’autre, tant dans son nom que dans la façon dont elle est pratiquée.

Une fois la cérémonie terminée, il est d’usage de consommer le mochi découpé en morceaux, ce qui nécessite généralement d’en congeler une partie tant il est imposant.

Conclusion

Voilà donc qui conclut ce petit article d’anniversaire, qui n’est que – nous l’espérons – le premier d’une longue liste !

Cette année a été très riche en enseignement pour nous, et pour tout ce que nous avons pu apprendre sur la culture et l’histoire des pays d’Asie du Sud-est, nous en avons appris le double sur nous-même.

Et ce genre de grande aventure a encore plus de valeur lorsqu’elle est partagée avec d’autres personnes ! Savoir que ce que nous écrivons plaît à d’autres personnes nous réchauffe le cœur et nous donne envie de faire encore mieux pour la suite.

Alors merci à toutes et à tous pour votre soutien ! 🧡

Publié par Meana

Passionnée par les pays d’Asie du Sud-Est et leur culture depuis plus de 15 ans, j’ai voyagé en Chine, Corée du Sud, Japon et Taïwan. J’ai même vécu un an à Pékin ! Je m’intéresse particulièrement à la portée historique des lieux et concepts, et aux habitudes de vie asiatiques.

2 commentaires sur « Le premier anniversaire : l’occasion d’un rituel à la symbolique forte »

  1. Tout d’abord : joyeux anniversaire !
    Je connaissais déjà cette tradition mais votre article m’a permis de mieux comprendre toute l’histoire derrière donc merci beaucoup. Et mention spéciale pour les dessins de Meana qui sont très beaux !
    Bon courage pour la suite et j’ai hâte de lire vos autres articles 🙂

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