L’écriture en Asie : un dénominateur commun, la Chine (Partie 2)

Il y a quelques semaines, nous avions abordé une première fois l’écriture en Asie, et notamment l’écriture chinoise ainsi que ses évolutions. Dans cet article, nous allons aborder la question de l’écriture dans les autres pays d’Asie, avec un focus particulier sur le Japon et la Corée.

L’écriture japonaise et son évolution

Dans cette première partie, nous allons nous concentrer sur l’écriture japonaise qui est tout aussi riche que l’écriture chinoise, mais surtout bien plus moderne.

Jusqu’au Vème siècle, le Japon ne disposait d’aucun système d’écriture, le japonais était uniquement une langue orale.

Sceau du roi de Na
Source : Wikipédia

Lorsque les caractères chinois furent importés au Japon, ces derniers avaient uniquement un but décoratif. En effet, ils se sont retrouvés sur de nombreux objets, tels que les sceaux, les pièces de monnaie ou encore les sabres. L’objet, déclaré comme étant le plus ancien, et uniquement archéologiquement parlant, est le sceau du roi de Na (漢委奴国王印 Kan-no-Wa-no-Na-no-kokuōin, aussi traduit comme « Le sceau du roi de Na, du Japon, vassal de la dynastie Han »).

Ce sceau avait été offert en l’an 57 par l’empereur chinois Han, Guang Wudi 光武帝 (date de règne 25 – 57 av. J-C au cours de la dynastie Han) à un diplomate japonais sous l’ère Yayoi 弥生時代 (environ 800 – 400 av. J-C. – 250 ap. J-C).

La date de l’arrivée de l’écriture n’a pas pu être déterminée avec précision, de nombreuses dates différentes ont été émises mais se situent généralement autour du IVème et du VIème siècle.

L’écriture, en tant que telle, aurait été introduite à partir du VIème siècle par un lettré semi-légendaire du nom de Wani 王仁. Ce dernier, après avoir été invité à la cour impériale, aurait amené avec lui son savoir du confucianisme et les caractères chinois, que l’on appela au Japon kanji 漢字.

D’après le Nihon Shoki 日本書紀[1], l’écriture chinoise aurait ainsi été introduite à compter de l’an 552. Néanmoins, d’autres sources donnent également la date de l’an 538.

Les caractères chinois, utilisés par la cour impérial, sont également utilisés par des érudits bilingues en chinois afin de rédiger les documents officiels. Par la suite, une nouvelle classe de lettrés, spécialisés et nommés les fuhito 史, a été employée à la cour pour lire et écrire le chinois classique et les documents.

Comme mentionné plus tôt, le Japon ne disposant alors pas de système d’écriture propre, les Japonais ont donc cherché à utiliser les caractères chinois afin d’écrire leur propre langue. Cependant, des différences entre leur langue et l’écriture chinoise sont restées et les caractères chinois n’ont ainsi pas permis de retranscrire la langue japonaise. Les caractères chinois étaient alors utilisés, non pas pour la prononciation mais pour le sens du terme.

Ainsi, avec le développement de l’écriture chinoise au sein de la cour impériale, et l’augmentation des lettrés et des fuhito, un système d’écriture fut crée : il s’agit du kanbun kundoku 漢文訓読, simplement raccourci en kanbun 漢文.

Le kanbun est le système d’écriture et de lecture du chinois classique en japonais. Ce dernier, encore utilisé de nos jours, permettait notamment l’annotation des différents textes chinois classiques. Ce système connut son évolution principale à l’époque de l’ère Heian 平安時代(794-1185) avec l’implantation de caractères diacritiques[2] permettant ainsi aux japonais, à partir de ces marques diacritiques, de comprendre l’équivalant de ce texte en japonais, et permettant ainsi la lecture des textes rédigés en chinois classiques, en japonais.

Le Kojiki, première chronique historique du Japon écrite, aurait été compilée avant 712 puis rédigée en utilisant le kanbun.

Néanmoins, le premier système d’écriture de la langue japonaise orale est apparu vers l’an 650, avec le man’yōgana 万葉仮名. Ce système consistait alors à utiliser des caractères chinois pour leurs propriétés phonétiques, alors dérivées de la lecture chinoise, plus que pour leur valeur sémantique. Utilisé dans un premier temps pour l’écriture de recueils poétiques, deux nouveaux systèmes d’écritures en sont dérivés : il s’agit des hiraganas 平仮名/ ひらがな et des katakanas 片仮名 / カタカナ, systèmes que l’on utilise encore aujourd’hui.

Initialement, les man’yōgana étaient très nombreux et ont subi au cours du temps une réduction drastique de leur nombre jusqu’à se limiter à un par son, conduisant ainsi aux hiraganas et katanas modernes comportant 46 signes de base.

Représentation des kanji, man’yōgana et leur évolution en hiragana (rouge) et katakana (bleu). Le tableau est à lire de droite à gauche
Source : Wikipédia

Les deux syllabaires sont alors appelés kanas et seraient apparus à compter du XIIIème siècle dans des écrits épistolaires.

Les hiraganas sont alors en réalité des man’yōgana rédigés de façon cursive. Suite aux réformes qu’il y a eu, chaque caractère correspond à une syllabe.

Les anciens hiraganas, non utilisés de nos jours, ou considérés comme obsolètes, sont appelés hentaigana 変体仮名. Utilisés de façon sporadique, on peut encore en trouver des exemples sur les enseignes de magasins de soba ou dans des documents manuscrits ayant un caractère formel, tels que les certificats provenant de groupes culturels classiques (arts martiaux, protocole ou encore études religieuses).

Ils peuvent également être utilisés dans la reproduction de textes classiques japonais. Correspondant plus ou moins à l’écriture gothique en Occident, ils permettraient uniquement d’embellir et d’apporter un aspect noble aux textes.

Les hiraganas sont utilisés afin d’écrire les mots japonais auxquels ne correspondent aucun kanji. C’est par exemple le cas des particules grammaticales et des suffixes.

Exemple de furigana avec le même terme
Source : Wikipédia

Un auteur peut également les utiliser si lui ou une partie de son lectorat ignore la lecture d’un kanji, ou que celui-ci est jugé trop formel. Enfin, les hiraganas peuvent être utilisés pour indiquer la prononciation des kanjis, on les appelle alors furiganas 振り仮名, ou pour indiquer la conjugaison et la différenciation de prononciation de certains kanjis, on les appelle alors okurigana 送り仮名.

Les katakanas ont une origine différente. Ces derniers résultent d’une simplification des man’yōgana utilisés par des élèves au sein des monastères bouddhiques, et dateraient du IXème siècle. Ils ont été formés en ne retenant pour chaque syllabe que quelques traits simples et caractéristiques d’un man’yōgana en particulier, d’où leur nom kata qui signifie partiel.

De nos jours, les deux syllabaires permettent de transcrire l’intégralité des sons existants dans la langue japonaise. Afin de distinguer les différentes homonymies possibles qui empêcheraient la compréhension, l’utilisation des kanjis a alors été conservée.

Comme pour le chinois, une romanisation du japonais a été réalisée, il s’agit du rōmaji ローマ字. Cette forme de transcription est encore utilisée aujourd’hui.

Cependant, avant l’introduction du rōmaji, plusieurs transcriptions du japonais ont été réalisées. Les premières transcriptions sont conçues par les premiers missionnaires et commerçants portugais au XVIème siècle. En 1591, un premier livre japonais écrit en rōmaji est paru. Ce livre, le Sanctos no Gosagveo no vchi Naqigaqi (サントスの御作業の内抜書, santosu no gosagyō no uchi nukigaki), est un livre religieux écrit par le jésuite portugais Alessandro Valignano. Les Français, Italiens et Allemands ont également réalisé des transcriptions, mais seule la transcription hollandaise fut retenue au Japon durant les années d’isolement imposées par le shogunat d’Edo 江戸時代, et notamment le shogunat Tokugawa 徳川幕府 (1603 – 1867).

Au cours de l’ère Meiji 明治時代 (1868 – 1912) apparaissent les transcriptions modernes du japonais. En 1867, le missionnaire américain James Curtis Hepburn (1815 – 1911) propose une méthode de transcription basée sur la phonétique du japonais, qui connaît un grand succès auprès des étrangers. Elle est par la suite reprise et complétée par le gouvernement japonais qui normalise la transcription, appelée kunrei-shiki 訓令式系統 en 1939 et 1954, avant de l’adopter officiellement en 1989.

Néanmoins, c’est la méthode Hepburn qui est la plus utilisée à l’extérieur des frontières japonaises.

Ainsi, nous avons pu voir que c’est bien la Chine et son système d’écriture qui ont eu la plus grande influence au Japon, au point de permettre à une langue orale d’obtenir un système d’écriture propre grâce à son évolution. Mais le Japon n’est pas le seul exemple de l’influence chinoise en Asie.

L’écriture coréenne et son évolution

Comme le japonais, la langue coréenne était avant tout une langue orale. L’introduction des caractères chinois, appelés en coréen hanja 한자, se fait majoritairement avec la diffusion du bouddhisme sur la péninsule. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cela ne se fait pas par le biais d’un texte religieux, mais du Chonjamun (je n’ai pas pu trouvé lors de mes recherches à quoi il correspondait, n’hésitez pas à nous faire part en commentaire si vous savez quel type de recueil il s’agit !).

Les hanja deviennent le seul système d’écriture coréen jusqu’en 1443, date à laquelle le roi Sejong le Grand (1418 – 1450) de la dynastie Joseon 조선 (1392 – 1897) développe et promulgue un nouveau système d’écriture, afin de lutter contre l’analphabétisation de son pays. C’est ce qu’on appelle le hangeul 한글 en Corée du Sud et le chosŏn’gŭl 조선글 en Corée du Nord.

Le hangeul avait pour objectif de remplacer les hanja à travers le pays.Il est frappée d’une interdiction en 1504 par le successeur de Sejong le Grand, avant d’être remise en avant en 1894. Néanmoins, c’est uniquement après la Seconde Guerre mondiale que son emploi est généralisé et permet une forte augmentation du taux d’alphabétisation de la péninsule.

L’interdiction de ce système est essentiellement le résultat des traditions confucéennes au sein de la cour impérial, ainsi que de la protestation des lettrés de l’époque, mais également parce que le roi Yeonsangun (1476 – 1506), principal acteur du bannissement de l’alphabet coréen, a été ridiculisé et critiqué, sur sa tyranie, en hangeul.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le hangeul joue un rôle important en Corée.

En 1894, les autorités japonaises imposent au royaume de Joseon une réforme administrative prévoyant l’abandon du système administratif chinois et l’adoption du coréen moderne comme langue officielle en lieu et place du chinois écrit. Le hangeul est alors adopté dans des documents administratifs peu avant la mise en place du protectorat, puis de l’annexion de la Corée par le Japon.

Afin de lutter contre les autorités japonaises, le hangeul est utilisé par la résistance coréenne et ce, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le Japon étant vaincu, cette écriture prend un fort essor et permet ainsi l’alphabétisation de l’ensemble de la péninsule, bien qu’elle soit scindée.

Depuis 1949, la Corée du Nord a remplacé l’intégralité des hanjas par le chosŏn’gŭl. Quant à la Corée du Sud, elle ne cesse d’utiliser les hanjas qu’à partir de 1995, à la suite de nombreux débats.

Le hangeul comprend 40 lettres, appelés jamos 자모. Ces jamos sont eux-même divisés en plusieurs catégories :

  • 14 consonnes de base, appelées jaeum 자음 ;
  • 5 consonnes doubles, appelées ssang jaeum 쌍자음 ;
  • 10 voyelles de base, appelées moeum 모음 ;
  • 11 voyelles composées, appelées bokhap moeum 복합모음 ;
  • 11 groupes de consonnes, appelés bokhap jaeum 복합자음.
Source : Wattpad – Korean Book

Comme le japonais, la langue coréenne, et notamment son écriture, comporte aussi des sous-divisions :

Exemple de Hanja honyong
Source : Planète Corée – Extrait d’un livre de Somunsaseol (소문사설 ; 謏聞事說) de Lee Si-pil (이시필 ; 李時弼, 1657-1724)
  • Le hanja honyong (한자혼용 ; 漢字混用) ou le gukhanmun honyong (국한문혼용 ; 國漢文混用), qui peut être traduit par « écriture mixte ». Il s’agit d’une écriture comprenant à la fois des caractères chinois et du hangeul ;
  • Le hyangchal (향찰 ; 鄕札): dans cette catégorie, les caractères chinois ont une fonction d’aide à la lecture phonétique ;
  • Un autre ancien système d’écriture est idu (이두 ; 吏讀), ce dernier ressemblerait au hanja standard ;
  • Le gugyeol (구결 ; 口訣), considéré comme une méthode d’interprétation des caractères chinois.

Enfin, il existe également le système de transposition typographique. Comme les hiragana et les katana en japonais, le hangeul comporte des caractères transposés et transformés pour correspondre à ce dernier.

Le tableau ci-dessous, prend l’exemple sur l’un des radicaux chinois (qui est un caractère en tant que tel) et sa déclinaison en coréen puis en japonais :

Source : Planète Corée

Comme pour le chinois et le japonais, le coréen a aussi connu une phase de romanisation. Ce système, officiellement adopté en 2000 par le gouvernement sud-coréen, porte le nom de romanisation révisée du coréen (국어의 로마자 표기법 ; RR : Gug-eoui Romaja Pyogibeop).

Avant ce système, un autre existait sous le nom de romanisation McCune-Reischauer. Créé par les américains Georges M. McCune et Edwin O. Reischauer en 1937, il ne visait pas à retranscrire le hangeul, mais à retranscrire la prononciation phonétiquement. Une variante de ce système est encore utilisée à ce jour en Corée du Nord.

Le système actuellement en vigueur en Corée du Sud porte le nom de romanisation révisée du coréen, car les évolutions technologiques rendirent nécessaire la possibilité d’écrire la langue informatiquement.

Bien que ce système soit officiellement utilisée et promulguée par le gouvernement sud-coréen, son usage n’est pas imposé, il est simplement recommandé de l’utiliser pour les prénoms et les marques commerciales. 

Pour conclure

L’écriture en Asie, et notamment au Japon, ainsi qu’en Corée, a ainsi été très fortement influencée par la Chine, voir, leur a même permis de créer leur propre système d’écriture.

L’écriture reste un sujet très riche et qui dispose de nombreuses subtilités et il est fort possible que celle-ci continue d’évoluer avec le temps, comme nous pouvons le voir, de nos jours, avec les langues européennes. Si on prend par exemple le français, il faut rappeler que la base est le latin et le grec ancien puis avec le mélange de l’oral a permis de donner le français que nous connaissons actuellement tout en passant à travers d’autres évolutions précédentes.

Il est possible qu’à l’avenir, le coréen, le japonais et le chinois, dans une certaine mesure, subissent davantage une influence étrangère, notamment de l’anglais, qui pourrait venir, en plus de l’oral, s’intégrer davantage dans leur système d’écriture. Mais ça, seul l’avenir le dira !


[1] Annales ou Chroniques du Japon, paru en 720, il s’agit de la seconde source officielle de l’Histoire et les origines du Japon, après le Kokiji.

[2] Un diacritique ou signe diacritique est un signe accompagnant une lettre pour en modifier le sens ou la prononciation. Le diacritique peut être placé au-dessus, au-dessous, devant, derrière, dedans, à travers ou autour. Un exemple de diacritique en français : les accents, le tréma et la cédille.

Publié par Corall

Passionnée par l'Asie depuis mon plus jeune âge, j'ai eu la chance de pouvoir visiter certains de ses pays, et notamment, la Chine, le Japon et la Corée du Sud. J'ai également eu la chance de pouvoir vivre un an en Chine dans le cadre de mes études et souhaite aujourd'hui vous faire découvrir les incroyables expériences que nous avons pu vivre lors de nos séjours.

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