Avant d’entendre parler de cette exposition au Centre Culturel Coréen de Paris, j’ignorais tout de ce genre de peinture. A vrai dire, même si j’ai eu l’occasion de voyager en Corée du Sud pendant quelques semaines au printemps 2019, je ne me suis jamais penchée plus que ça sur sa culture et ses traditions. C’est plutôt Corall qui commence à se spécialiser sur le sujet, au travers de ses lectures toujours plus nombreuses sur la péninsule coréenne.
Mais en grande amatrice de livres et d’arts créatifs, l’exposition Minhwa « Chaekgeori… de la beauté des livres » m’a immédiatement intéressée. Malheureusement, le Centre Culturel Coréen n’étant ouvert qu’en semaine, c’était bien compliqué pour moi de m’y rendre. Alors quand j’ai pu poser une journée de congé cet été, j’ai tout de suite su où je voulais aller. Direction donc rue de la Béotie, dans le 8e arrondissement de Paris.

Le Centre Culturel Coréen, service culturel de l’Ambassade de la République de Corée, créé en 1980, a pour vocation de mieux faire connaître la culture coréenne au public français et de promouvoir et développer les échanges artistiques entre la Corée et la France. Y sont organisés des expositions, des concerts, des conférences, etc. ainsi que des cours de langue et ateliers d’art.
Plus d’infos sur https://coree-culture.org/
J’avais vu sur leur site Internet qu’ils proposaient des visites guidées gratuites trois jours par semaine à 13h, occasion que je n’ai pas manquée. Nous n’étions que deux, ce qui m’a permis de poser autant de questions que je le souhaitais. Autre avantage de la visite guidée : le Centre nous a offert un petit fascicule répertoriant toutes les œuvres présentées, ainsi que celles que la taille des locaux n’avait pas permis d’installer, avec les coordonnées de leurs auteurs respectifs.
Au total, l’exposition Minhwa « Chaekgeori… de la beauté des livres » rassemble les œuvres de 47 artistes, qui réinterprètent, chacun à leur façon, un style de nature morte datant de la dynastie Joseon. Peint sur paravent, il représente des ouvrages, avec des objets en lien avec l’écriture ou des objets de la vie courante.
Certains sont resté assez proche du style traditionnel, tandis que les autres se sont permis quelques libertés ; mais dans tous les cas, chacune des œuvres est ponctuée de touches personnelles. Tout cela en fait une collection d’œuvres aussi uniques que fascinantes.
Mais rentrons davantage dans les détails…
… en commençant par expliquer le titre de l’exposition : Minhwa « Chaekgeori… de la beauté des livres ».
Minhwa 민화 désigne les images d’art populaire. Selon Pierre Cambon, conservateur des collections coréennes au musée Guimet, on pourrait traduire ce terme par « art populaire ».
Cette forme d’art fait partie intégrante du patrimoine culturel de la Corée, et tire ses origines du quotidien des classes sociales coréennes les moins élevées de la fin du 18e siècle à la première moitié du 20e siècle. Ses modestes origines ne l’ont pas empêchée de se faire une place dans toutes les strates de la société coréenne, depuis les quartiers les plus pauvres jusqu’à la cour royale.
Le minhwa s’exprime à travers des techniques artistiques très variées, parmi lesquelles on retrouve la peinture, la calligraphie à l’encre de Chine et les estampes. Sont représentés dans le minhwa (et ce, peu importe le support et la technique utilisés) des thèmes liés aux croyances populaires et à la religion, mais aussi aux évènements importants de la vie quotidienne.
Ici, nous allons plus particulièrement nous concentrer sur la peinture minhwa. Celle-ci est toujours très colorée, représentant le plus souvent des fleurs et des animaux (majoritairement pivoines et lotus, et tigres et pies), mais aussi des figures humaines et symbolique.

Source de l’image: http://artminhwa.com (1880 env.)
Les animaux les plus souvent représentés sont la pie et le tigre. Couramment représentés ensemble dans un style nommé kkachi horangi (까치 호랑이), les deux animaux sont en opposition : le tigre, a qui on donne intentionnellement une apparence ridicule et stupide, représente alors l’autorité, tandis que la pie, plus digne, représente l’homme du peuple. Ces peintures offraient un regard satirique sur la structure hiérarchique de la société féodale de la période Joseon.
Le chaekgeori 책거리 fait aujourd’hui partie de la peinture minhwa. On peut également l’appeler chaekgado 책가도 lorsque des étagères sont représentées. Mais de façon générale, c’est le premier terme qui est utilisé, englobant à la fois les œuvres représentant des étagères de livres et celles qui en sont dépourvues.
Composés du mot chaek 책, qui signifie « livre », ce sont des peintures sur paravent, qui représentent des livres et accessoires divers utilisés par les lettrés de la Corée de l’époque.
En plus des livres, on retrouve « divers objets liés à l’écriture, sous forme d’objets en porcelaine, en bronze, de papeterie ou d’autres objets courants, harmonieusement associés à des éléments naturels tels que des fruits, des plantes, des animaux et tant d’autres, » explique le professeur Byung-mo CHUNG en introduction de cette exposition.
Ce style de peinture était particulièrement apprécié du roi Jeongjo (1752-1800), et est très vite devenu très populaire auprès de la population, ce qui lui a permis de devenir une catégorie de peinture minhwa. Néanmoins, les objets représentés ont un peu évolué, selon les différentes catégories sociales : si les livres et les objets de calligraphie plaisaient à la cour, le peuple préférait quant à lui les peintures représentant la faune et la flore.
A la cour, les chaekgeori étaient utilisés au cours de cérémonies rituelles, ainsi que comme décoration, tandis que pour la population, ils n’avaient qu’une utilité décorative.
Le roi Jeongjo, mentionné précédemment, avait par exemple fait installer un paravent orné de chaekgado derrière son trône. On dit que les objets, qui y étaient peint, représentaient son idéologie en tant que dirigeant : c’est la connaissance qui permet de gouverner.
Voici un chaekgeori d’époque, peint entre 1860 et 1864 par un artiste du nom de Yi Eungrok. C’est un paravent constitué de huit panneaux, sur lesquels ont été peint des livres et divers objets de lettrés.

Au cours de ses quelques siècles d’existence, le chaekgeori a su conserver une part d’authenticité, tout en se modernisant progressivement, incorporant de nouveaux objets et thématiques afin de toujours rester au goût du jour.
Ainsi, parmi les œuvres présentées dans l’exposition, on va par exemple en trouver une où sont représentés des composants informatiques.

On retrouve également deux œuvres dérivées des munjado 문자도. Traditionnellement, les munjado représentent des caractères chinois issus de la philosophie confucéenne, à l’intérieur desquels étaient peint des illustrations et histoires en lien avec le sens du caractère choisi. Ici, l’artiste KIM Young Hee a remplacé les caractères chinois par des mots écrits en hangeul, l’alphabet officiel du coréen.


KIM Young Hee, Livres fleurs (2021) et Livre oiseaux (2021) – Photos issues du fascicule de l’exposition
Je ne suis pas parvenue à définir si l’utilisation du hangeul dans les munjado était une nouveauté ou alors quelque chose de répandu. Si vous en savez plus, n’hésitez pas à nous le faire savoir !