Les sources thermales : d’héritage colonial à pan de la culture taïwanaise

Une localisation explosive

L’île de Taïwan fait partie de la ceinture de feu du Pacifique. Cela signifie que sa situation géographique coïncide avec l’alignement des 452 volcans qui borde l’océan Pacifique sur la majorité de son pourtour (c’est-à-dire environ 40 000 kilomètres).

Cet alignement de volcans coïncide d’ailleurs avec un ensemble de limites de plaques tectoniques et de failles, où on retrouve en outre les principales fosses océaniques de la planète. Être situé sur cet alignement n’est donc pas un très bon présage de façon générale.

Carte de la ceinture de feu du Pacifique (en rouge) correspondant aux régions de forte densité de volcans ; les traits bleus sont les principales fosses océaniques, Rémih, CC BY-SA 3.0

En observant cette carte, on se rend compte que Taïwan se trouve à l’extrémité sud de la fosse des Ryūkyū (aussi appelée fosse de Nansei-shotō)

Plusieurs volcans sont répertoriés sur l’île principale, ainsi que sur quelques autres îles. Au nord de Taiwan, on distingue deux grands groupes : le groupe du volcan Tatun et celui du volcan Keelung, qui recensent respectivement quatre et six volcans. A l’est, on retrouve la chaîne de montagne Hai’an, ainsi que des volcans sur l’île verte et l’île aux orchidées. Enfin, à l’ouest, on trouve des volcans dans la municipalité spéciale de Taoyuan et dans le comté de Hsinchu (île principale), ainsi que dans l’archipel des Pescadores.

Répartition approximative des volcans et groupes de volcans

Le risque volcanique reste cependant faible selon certains spécialistes, sans toutefois exclure totalement l’éventualité d’une nouvelle éruption entraînant des dommages importants. Certains de ces volcans, comme le Tatun, sont encore actifs, et la menace d’une nouvelle éruption est prise très au sérieux par les volcanologues de l’observatoire national taïwanais.

Par ailleurs, étant située sur une zone de subduction – à l’endroit où la plaque eurasienne plonge sous la plaque philippine – l’île est soumise à un niveau de risque élevé de séismes et de tsunamis.

Ainsi, environ deux mille deux cents séismes sont répertoriés chaque année, dont plus de deux cents sont ressentis. En un siècle, quatre-vingt-seize tremblements de terre ont été meurtriers. Le dernier en date remonte à 1999, quand près de deux mille cinq cents personnes ont perdu la vie et onze mille autres ont été blessées par un séisme de magnitude 7,3 sur l’échelle de Richter.

Au vu de tous ces éléments, la situation de l’île ne semble pas particulièrement avantageuse. Mais l’intense activité géothermique a malgré tout de bons côtés : elle a ainsi fait jaillir du sol plus de 150 sources d’eau chaude, que l’on nomme 溫泉 wen quan en chinois. C’est l’équivalent des onsens au Japon.

Ainsi, l’île dénombrerait non seulement la plus grande concentration au monde de sources thermales, mais également la plus grande variété (en termes de température et de nature) : on trouve en effet des sources chaudes, froides, salées ou encore gazeuses, riches en carbonate de sodium, soufre, fer, hydrogénocarbonate de sodium ou de boue, hydrogène sulfuré, etc.

Ces sources offrent donc un large éventail de vertus et de bienfaits, aidant par exemple à lutter contre l’arthrite, l’eczéma ou encore la fatigue chronique. Et pour ne rien gâcher, elles se trouvent dans un environnement quasi paradisiaque.

Petit historique

La plus ancienne mention écrite de sources chaudes à Taïwan vient d’un manuscrit daté de 1697, c’est à dire durant la 36e année du règne de l’empereur des Qing, Kangxi. Intitulé 《裨海紀遊》Beihai Jiyou, il décrit le groupe volcanique Datun, et mentionne l’aspect géologique des sources chaudes de la zone volcanique.

Un manuscrit de 1837, 《噶瑪蘭廳志》gámǎlán tīngzhì que l’on peut traduire par les “Annales de Komalan” (actuelle ville de Yilan), indique la coutume, sous la dynastie des Qing, de se baigner dans les sources d’eau chaude, mais cela ne semblait cependant pas répandu à Taïwan.

Selon certaines sources que je n’ai pas pu vérifier, il semblerait que la population Han (majoritaire en Chine) sous les Qing avait certes déjà découvert les sources d’eau chaude, mais pensait que l’eau était empoisonnée et n’osait donc pas s’en approcher.

Quant aux aborigènes qui peuplaient déjà l’île, mes recherches ne m’ont pas permis d’apprendre quoi que ce soit sur leur rapport aux sources thermales et l’utilisation qu’ils pouvaient en avoir…

Malgré ces quelques mentions, ce n’est que sous l’occupation japonaise, entre 1895 et 1945, que les sources thermales sont réellement développées et exploitées sur l’île.

En effet, les Japonais sont de fervents adeptes des onsen, les sources thermales , et des sento, les bains publics, il n’est donc pas surprenant que, face à la quantité et la variété de sources sur l’île, ils aient décidé de les exploiter.

Sano Shōtaro et sa famille, en 1929 devant son établissement Hoshinoyu, Xing Nan Tai 星乃湯 en chinois, nouvellement ouvert à Beitou. Renommé par la suite Yicun Hotel, il a été fermé en 2013 et est désormais à l’abandon. Photo.

Les principales sources sous l’occupation étaient celles de Beitou, Yangmingshan, Guanziling et Sichongxi.

En 1893, peu de temps avant le début de l’occupation japonaise, un homme d’affaire allemand, spécialisé dans le commerce du sulfure, aurait découvert la présence de sources chaudes à Beitou, au nord-ouest de Taiwan, et y aurait établi un petit spa l’année suivante. A l’arrivée des Japonais, il aurait cédé son établissement à un homme originaire d’Osaka, Hirata Gengo 平田源吾.

Ce dernier n’était pas venu sur l’île pour ses sources chaudes, mais pour développer une entreprise de minerais. Il dut cependant réaliser le potentiel que revêtaient les sources chaudes inexploitées de l’île, et ouvrit le premier hôtel aux sources chaudes de Taiwan en mars 1896. Appelé Tenguan 天狗庵, il était apparemment très apprécié des soldats japonais. Le succès de cet hôtel inspira la création de nombreux autres.

Le prince héritier Hirohito en visite aux bains publics de Beitou en 1923, auteur inconnu

Mais malgré la popularité de ce type d’infrastructures, ces dernières représentaient un luxe que seuls les Japonais et la classe supérieure taïwanaise pouvaient se permettre. Pour le reste de la population, il fallait se contenter de petites sources aux alentours, souvent peu aménagées.

Afin d’augmenter l’accessibilité aux sources chaudes, l’administrateur japonais de la ville de Taipei fit construire en 1913 des bains publics, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Musée des sources chaudes de Beitou.

La photo de droite a été prise dans la partie réservée aux hommes dans les bains publics de Beitou. Cette salle a été construite suivant un style mi-japonais mi-européen, sur le modèle de Izusan onsen, une source chaude très populaire au Japon.

Ces cartes postales datant de 1907-1918 représentent les sources chaudes de Beitou, appelé Hokuto par les Japonais. Elles proviennent de la collection de Michael Lewis.

Mais après la défaite des Japonais et la prise de pouvoir du Guomindang sur l’île en 1945, leur usage s’est fait moins courant.

Au début des années 1960, commence une période d’exploration géothermique qui durera jusqu’au milieu des années 1990. Durant cette période, les recherches se concentrent sur la possibilité de générer de l’énergie à partir des sources chaudes, dont certaines peuvent atteindre jusqu’à 150-230 degrés, comme c’est le cas dans la zone de Yilan (nord-est de l’île).

Avec la levée de la loi martiale en 1987, et l’ouverture progressive du pays, les sources thermales retrouvent leur attrait, notamment au travers de programmes touristiques. Et depuis, les stations thermales taïwanaises ont fortement gagné en popularité.

Ainsi, un festival des sources chaudes a lieu chaque année à Taipei, aux alentours de fin octobre / début novembre. En voici la publicité pour 2021!

Pour le gouvernement, les sources thermales ont le potentiel de devenir une part importante de la culture taïwanaise, en plus de constituer une industrie rentable. Et afin d’en encadrer le développement et l’utilisation, une loi est promulguée par le Yuan législatif en 2003.

Profiter des sources thermales

Considérant le climat subtropical/tropical de l’île, le meilleur moment pour profiter des sources thermales, en particulier les sources chaudes extérieures, est l’hiver, bien que le printemps et l’automne s’y prêtent plutôt bien aussi. L’été n’est évidemment pas le plus conseillé.

Quelques 200 stations thermales jalonnent l’île, alimentées par une quinzaine de sources chaudes. Les infrastructures installées autour des sources peuvent aussi bien être des structures spécialisées et thérapeutiques que de simples spa récréatifs.

Que vous y alliez simplement pour vous détendre après une longue journée de visite ou pour profiter de ses nombreux bienfaits, nul doute que vous trouverez votre bonheur !

Pour vous donner une idée de la quantité de sources chaudes, voici la carte 2022 des principales sources de l’île

Par ailleurs, les sources thermales sont souvent installées dans des endroits touristiques offrant une multitude d’activités possibles, comme de la randonnée en montagne, des musées, etc. Et il y a toujours de très bonnes spécialités locales à goûter aux alentours !

L’un des principaux endroits pour profiter des sources chaudes se trouve non loin de la capitale : il s’agit de Beitou, dont l’eau sulfureuse qui alimente les centres thermaux est réputée pour adoucir et exfolier la peau. (Un bienfait que vous trouverez également dans les sources de Wulai, situé non loin de Taipei)

“Hot water, do not enter” warning sign of Beitou Thermal Valley, by Deadkid dk (2005) | Hot Spring Museum, by FireFeather (2016)

Et Beitou est aussi riche en bains thermaux qu’en activités annexes. En effet, l’endroit est idéal pour une balade urbaine, avec ses nombreux vestiges de la période japonaise à visiter, le musée Ketagalan qui aborde l’histoire des aborigènes de l’île ou encore son magnifique jardin.

Vous l’aurez compris, profiter des sources chaudes à Taïwan est une activité presque incontournable lorsque l’on voyage sur l’île. N’hésitez donc pas à aller vous détendre dans l’un des nombreux bains, d’autant que, contrairement au Japon, il semblerait que l’on s’y baigne en maillot de bain !

Publié par Meana

Passionnée par les pays d’Asie du Sud-Est et leur culture depuis plus de 15 ans, j’ai voyagé en Chine, Corée du Sud, Japon et Taïwan. J’ai même vécu un an à Pékin ! Je m’intéresse particulièrement à la portée historique des lieux et concepts, et aux habitudes de vie asiatiques.

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