Servir le peuple

  • Titre du livre: Servir le peuple
  • Auteur: YAN Lianke 阎连科
  • Roman traduit du chinois par Claude PAYEN
  • Éditeur: Editions Philippe Picquier
  • 240 pages – EAN: 9782809701388
  • Parution: 17 octobre 2009

Description du livre

Lorsque Yan Lianke s’empare du célèbre slogan de la Révolution culturelle, c’est pour piétiner au passage les tabous les plus sacrés de l’armée, de la révolution, de la sexualité et de la bienséance politique. De quoi donner une crise d’apoplexie au ministre de la Propagande chinois, en charge de la censure.

Son court roman est aussi iconoclaste que jubilatoire. Ou comment servir le peuple devient, pour l’ordonnance d’un colonel de l’Armée populaire de libération, l’injonction de satisfaire aux besoins sexuels de la femme de son supérieur. Le mari s’étant absenté pour deux mois, les deux amants passent leurs journées cloîtrés dans la maison, où ils découvrent par hasard, en brisant une petite statue en plâtre de Mao, que ce geste sacrilège décuple leur désir. Dès lors, c’est à qui se montrera le plus « contre-révolutionnaire » en détruisant le maximum d’objets liés au Grand Timonier. Un amour fétichiste et une variation insolente de l’Histoire officielle qui ont valu au livre d’être saisi et interdit en Chine dès sa publication.

Mon opinion

Né à la fin des années 1950, YAN Lianke est originaire d’un village pauvre du Henan. A sa majorité, il s’engage dans l’Armée populaire de libération (APL), dont il a été l’écrivain officiel. Il est d’ailleurs diplômé de la section littérature de l’Académie des Beaux-Arts de l’Armée populaire de libération.

Son intérêt pour l’écriture est cependant bien plus ancien, car il écrivait déjà de petits romans lorsqu’il était enfant. Mais les romans qu’il écrit en parallèle de son métier de militaire ne plaisent pas trop au gouvernement.

En 1994, après la publication de La Chute du soleil en été, qui relate l’histoire d’un soldat qui réfléchit par lui-même, il est obligé de rédiger de nombreuses autocritiques pour satisfaire le département de la propagande du comité central du Parti communiste. Cela ne l’arrête cependant pas.

Il continue à critiquer, dans ses écrits, le communisme et les dirigeants et de mettre en lumière la folie des hommes. Il finit par être privé de passeport et de la possibilité de quitter ce pays qu’il aime néanmoins.

Ses livres, interdits en Chine, sont publiés à l’étranger, et cela lui suffit, car il considère que le plus important est de ne jamais s’autocensurer lui-même.

Finalement, en 2004, un énième livre, intitulé Plaisir, attire le courroux de département de propagande qui ne se satisfait plus des autocritiques : YAN Lianke est alors limogé.

Il a reçu plusieurs récompenses pour ses romans, dont le prix Franz Kafka, décerné aux auteurs dont l’œuvre en dénote l’influence, en 2014.

Publié dans sa version originale en 2005, Servir le peuple tire son titre d’un discours prononcé par Mao Zedong en septembre 1944, avant donc que ne soit proclamer la création de la République Populaire de Chine.

Calligraphie “Servir le peuple” (为人民服务) par Mao Zedong

Servir le peuple est un roman relativement court, satirique et iconoclaste, qui a été interdit dès sa parution. Selon un article publié dans Courrier international peu après, “le Département de la Propagande du Comité central du Parti communiste chinois juge, que le roman dénigre Mao et son “noble but de se mettre au service du peuple”, qu’il nuit à l’image de l’armée, qu’il porte atteinte à l’idée de révolution, que ses scènes de sexualité débridée sont de nature à semer le trouble dans les esprits et, enfin, qu’il fait l’apologie de concepts occidentaux erronés” (Courrier International du 27/4/2005).

Considérant le point de vue du département de la propagande sur l’ensemble des œuvres de YAN Lianke, une censure était de toute façon inévitable. Mais contrairement aux autres œuvres de l’auteur, Servir le peuple est traité de façon beaucoup plus légère, et même grivoise : on est bien loin du ton dur et dramatique des romans comme Le rêve du village des Ding ! Mais cela n’en atténue pas pour autant la force du propos. Situé en pleine Révolution Culturelle (1966-1976), période très compliquée de l’histoire chinoise, il désacralise l’armée, la révolution, et même l’image de Mao.

Si découvrir ce récit vous tente, sachez qu’il a été adapté en version bande dessinée en 2018, aux éditions Sarbacane. Une autre façon de découvrir ce roman pour le moins provocateur !

Extrait de la bande dessinée

Pour être honnête, je peux comprendre pourquoi ce roman ait pu être mal perçu par l’armée et le parti communiste. Il faut avouer qu’il s’en prend là à un symbole important pour le pays et plus particulièrement pour le parti. Et je dis cela sans cautionner le moins du monde l’usage de la censure ! Mais toute personne qui connaît l’histoire de la Chine au siècle dernier a conscience de l’importance que revêt le Grand Timonier. Il faut sans aucun doute un courage certain pour oser publier ce genre de récit !

Cela étant dit, Servir le peuple reste un roman intéressant, ne serait-ce que pour saluer l’audace de YAN Lianke. Ce dernier cherche sans aucun doute à dénoncer le matraquage idéologique systématique alors imposé depuis plus de trente ans au moment où se passe le récit. Le personnage principal, Wu Dawang, est par exemple considéré comme un camarade exemplaire, simplement parce qu’il est capable de répéter à la perfection tout le blabla idéologique qu’ils sont obligés d’ingurgiter. Ce qui est intéressant, également, c’est cette propension à justifier tout et son contraire par l’idéologie : la phrase « servir le peuple » est très largement détournée, mais ce n’est peut-être pas si étonnant considérant ce que Mao a pu réserver au peuple au cours des décennies qui ont suivi sa prise de pouvoir…

Certains aspects mentionnés dans le roman sont encore bien tristement d’actualité. C’est par exemple le cas du hukou, précieux sésame qui définit qui est autorisé à venir s’installer en ville, ce qui représente pour beaucoup de paysans (à l’époque ou encore aujourd’hui) une chance d’améliorer leurs conditions de vie. On pourrait également citer l’importance de garder la face, quitte à bouleverser l’ordre établi sans aucun état d’âme…

Pour conclure, c’est un roman intéressant que je ne regrette pas d’avoir lu, bien qu’il soit bien loin du formidable Rêve du village des Ding, et j’ai hâte de découvrir le reste de l’œuvre de YAN Lianke !

Emprunt septembre/octobre 2021 – Fiche rédigé le 05/11/2021

Publié par Meana

Passionnée par les pays d’Asie du Sud-Est et leur culture depuis plus de 15 ans, j’ai voyagé en Chine, Corée du Sud, Japon et Taïwan. J’ai même vécu un an à Pékin ! Je m’intéresse particulièrement à la portée historique des lieux et concepts, et aux habitudes de vie asiatiques.

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