Dans cet article, nous allons tenter de faire un balayage global de ce sujet aussi vaste que complexe qu’est le shintoïsme. Considérant que cette religion/philosophie de vie ne dispose pas de doctrine ou de préceptes fixes, mais plutôt d’une multitude d’interprétations, cet article livre la nôtre. N’hésitez pas à nous partager votre avis ou votre propre interprétation !
Par ailleurs, vous trouverez à la fin de l’article une liste de lecture et autres recommandations pour vous permettre d’aller plus loin sur le sujet et d’en apprendre davantage.
Introduction
Le shinto, ou shintoïsme, 神道 en japonais (la voie des dieux, ou la voie du divin) est l’un des deux courants religieux principaux au Japon, le second étant le bouddhisme. Il existe au Japon de façon continue depuis la Préhistoire.
Dans un premier temps, nous allons d’abord nous attacher à définir ce qu’est le shintoïsme (si tant est que ce soit possible), avant de nous arrêter sur son étymologie. Nous enchaînerons ensuite avec un petit cours d’histoire, depuis la préhistoire jusqu’à nos jours, avant de terminer par une petite visite dans un sanctuaire.
Mais qu’est-ce que le shintoïsme ?
Le shintoïsme est difficile à décrire, tant il est particulier. Sokyo Ono écrit dans son ouvrage Shinto : The Kami Way (Tuttle Publishing, 1962) qu’il est « impossible de décrire de manière précise et claire ce qui, fondamentalement, est vague par nature ». Le professeur Jean Herbert, éminent orientaliste qui a rencontré plus d’un millier de prêtres shinto et de shintoïstes dans le cadre de l’écriture d’un rapport détaillé sur cette religion dans les années 1960, déclarait qu’aucun de ses interlocuteurs n’avait donné la même réponse.
Mais peut-on réellement parler de religion ?
Rappelons que l’on considère généralement, en Occident, qu’une religion a un fondateur, des doctrines, des préceptes ou commandements et des objets de vénération. Ce qui, lorsqu’on se penche sur la question, n’est pas vraiment le cas du shintoïsme.
En effet, contrairement au bouddhisme, au christianisme et à l’islam, le shintoïsme n’a pas de fondateur équivalent à Gautama l’Eveillé, Jésus le Messie ou Mahomet le Prophète. Il n’y a pas non plus de textes sacrés comme les sutras, la Bible ou le Coran, car même les premiers documents mentionnant ces croyances ne visent pas à établir une doctrine valable pour l’ensemble du shintoïsme.
Et contrairement aux autres religions qui fixent des interdits (ne fais pas ci) et des obligations (fais ça), le shinto livre très peu de directives aux fidèles dans leur vie quotidienne ; les seules véritables directives concernent en réalité les prêtres au moment d’effectuer un rituel. Le shintoïsme ne cherche pas le salut de l’âme, il n’y a donc pas ces interdits et obligations qui ponctuent les autres religions, ni même de concept de “péché originel”.
Cela ne signifie par pour autant que le shinto ignore les “péchés” en général. Ce qui s’en rapproche le plus est le concept de 罪 tsumi, qui est une entorse grave à la morale ou à l’éthique shinto. Il est mentionné dès le Xe siècle, dans le Engishiki (延喜式), un recueil japonais de lois et de règlements comprenant 50 volumes.
Dans ce texte, on y distingue deux catégories de tsumi : 天津罪 amatsutsumi, qui concerne les violations des dons de la nature, et 国津罪 kunitsutsumi, qui concerne les violations des lois de la société. Mais l’âme des êtres humains est considérée comme un don des kamis, elle est donc, par nature, pure. Ainsi, les erreurs commises, quelque soit leur gravité, ne feront que tâcher l’âme en surface. C’est ce qu’on appelle 穢れ ou 汚れ kegare.
Ces souillures nuisent évidemment à l’âme, ce qui rend nécessaire de la purifier. Pour cela, il existe deux solutions : la purification par l’eau, 禊 misogi, et un nettoyage appelé 祓 harae. Ce dernier peut se faire par le feu, le sel ou avec un onûsa, une baguette de bois à laquelle sont attachés des banderoles de papier blanc en zigzag (shide).

Dans son livre Le shintô, la source de l’esprit japonais (Sully Le Prunier, 2019), Emiko Kieffer compare kegare à de la poussière qui s’accumule sur les meubles et qu’il faut nettoyer périodiquement. Cela explique donc pourquoi il est nécessaire de se purifier en entrant dans un sanctuaire shinto. À l’origine, misogi se faisait dans l’eau de la mer, ce qui rendait la purification très efficace puisque cela associait les effets de l’eau et du sel, ainsi que sous une chute d’eau ou dans une rivière.

Ce rituel tire son origine d’un épisode mythologique au cours duquel le kami Izanagi, co-créateur du monde et du Japon, quitte le royaume des morts où il était parti chercher son épouse Izanami (ce qui fut un échec), et se purifie dans l’eau d’un fleuve.
Ci-contre : Izanagi se purifiant dans le fleuve. Œuvre en impression sur bois de Natori Shunsen (名取春仙, 1886-1960), compilée dans le 日本の神様 : 古事記絵はなし (Nihon no Kami-sama: Kojiki Ehanashi), 1916.
Par ailleurs, le sanctuaire lui-même se doit d’être purifié de façon régulière, sans quoi les kamis finiraient par ne plus y descendre. Ils ne logent que dans un lieu propre, un esprit propre ou un corps propre. Cela donne lieu à différents rituels, réalisés plus ou moins souvent, selon les sanctuaires.
Si le terme ‘religion’ est effectivement souvent employé, c’est dans la conception orientale qu’il faut le comprendre. Il s’agit d’une religion en tant que philosophie de la nature. Cette dernière occupe d’ailleurs une place primordiale dans le shintoïsme : on considère en effet qu’il y a un lien entre le bien-être du monde naturel, et notre propre bien-être spirituel.
Louis Frédéric le décrit, dans son ouvrage Le Shintō : Esprit et religion du Japon (paru en 1972 aux éditions Bordas), comme une « ‘manière de vivre’ en commun qui, au lieu de dogmes, se suffit d’un code de comportement destiné à conserver une sorte d’équilibre entre la nature humaine et les lois naturelles que l’on suppose être administrées par des entités supérieures à l’homme, les kamis ».
En résumé, on peut dire qu’il s’agit d’un ensemble de croyances qui remontent à l’histoire ancienne du Japon, qui rendent hommage à la nature et se soucient de la place de l’homme au sein de celle-ci.
Le shintoïsme mêle à la fois des croyances animiste et polythéiste. Animiste, car ce courant voit dans chaque phénomène de la nature l’expression d’un kami (神), c’est-à-dire d’une divinité. Polythéiste, car ce courant conçoit l’existence de plusieurs divinités.
Ces dernières sont innombrables, et ne sont pas parfaites. A tel point que certaines d’entre elles se révèlent parfois un peu capricieuse, voire même colériques. Il est alors nécessaire d’effectuer certains rituels, afin d’obtenir leur bienveillance, ou bien de les apaiser.
Shintō, ou en version francisée shintoïsme, est un terme générique qui englobe l’ensemble de ces croyances et de leurs évolutions, mais il existe des termes plus précis pour se référer à des formes plus spécifiques. Sans toutes les mentionner, on peut retenir les principales :
- Le shinto ancien, appelé koshintō, est la forme la plus ancienne du shinto ;
- Avec l’introduction et l’influence du bouddhisme, on voit apparaître le shugo shintō, qui signifie littéralement le « shinto savant et intégré » ;
- Une autre forme influencée par un apport extérieur, ici le taoïsme provenant de Chine, est le shinto Yoshida, qui incorpore au shinto la voie du yin et du yang ;
- À la restauration Meiji, c’est un shinto d’État, appelé kokka shinto, qui est mis en place, afin de promouvoir le culte de l’empereur et justifier l’expansionnisme et l’impérialisme japonais ;
- Après la Seconde Guerre mondiale, c’est le système organisé du jinja shinto, le shinto « des sanctuaires », qui prédomine.
Il en existe évidemment bien d’autres.
Quelques mots sur les kamis
Le mot ‘kami’ s’écrit avec le kanji 神, qui se lit shin ou jin, et que l’on retrouve d’ailleurs dans le mot 神道 shintō. Il se traduit en premier lieu par ‘esprit’, mais on peut également le comprendre au sens divinité. Attention cependant à ne pas faire d’amalgame avec le concept de ‘dieu’ en Occident. Les kamis sont plus honorés qu’adorés. Les gens éprouvent à leur égard une crainte respectueuse, mais on est loin de l’adoration.
La lecture kami pourrait être un emprunt lexical à la langue aïnou, dans laquelle le terme kamuy renvoie à un concept animiste très similaire à celui des kamis japonais.
Bien que la question de l’étymologie du mot kami soit sujet à débat, certaines études, dont celle de Tresi Nonno, intitulée On Ainu etymology of key concepts of Shintō: tamashii and kami et parue dans le journal en ligne CAES en mars 2015, mettent en lumière un lien certain entre la langue aïnou[1] et le shinto.
Dans les textes anciens, les kamis sont souvent désignés par l’expression 「八百万の神」 (yaoyorozu no kami). Littéralement, cela signifie les « huit cents myriades » de kamis, une façon un peu poétique d’indiquer qu’il en existe une infinité.

Les kamis sont, en premier lieu, des éléments de la nature, ainsi que des concepts comme la fertilité. Dans certains cas, des personnages charismatiques et des héros valeureux peuvent également être, après leur mort, considérés comme des kamis.
Tous ces kamis peuvent se classer en trois groupes, qui se recoupent : les kamis célestes 天津神 amatsukami, les kamis terrestres 国津神 kunitsukami et les myriades d’autres kamis 八百万の神 yaoyorozu no kami. Seule la première catégorie peut être considérée comme divinité au sens classique du terme, mais tous les kamis disposent d’une large variété de pouvoirs et d’attributs spirituels.

Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que l’ensemble de ses kamis sont reliés entre eux et proviennent d’une même source. En effet, deux groupes de kamis apparaissent à la création de l’univers : d’abord les cinq 別天津神 kotoamatsukami (littéralement « kami distinctement céleste »), puis les 神世七代 kamiyonanayo (littéralement « sept générations de l’Âge des dieux »).
La dernière paire de kamis issue des sept générations de divinités sont Izanagi et Izanami, appelés à l’existence par des kamis des générations précédentes afin de créer le monde et en particulier le Japon. Izanagi et Izanami sont respectivement patriarche et matriarche de toutes les autres divinités japonaise.
Les kamis vivent dans un espace parallèle, reflet de notre monde et qu’on appelle 神界 shinkai (qui signifie littéralement ‘le monde des kamis’). Invisibles depuis le royaume des humains, ils sont capables de visiter les différents lieux qui leur sont dédiés, mais n’y restent jamais indéfiniment.
[1] L’aïnou est une langue traditionnellement parlée par les Aïnous, un peuple autochtone vivant dans le Nord du Japon, notamment dans l’île d’Hokkaidō, et dans l’Extrême-Orient de la Russie. En raison de l’assimilation culturelle forcée, les Aïnous sont aujourd’hui peu nombreux.
D’où vient le terme 神道 shintō
Le mot 神道 shintō est composé de deux caractères issus du chinois.
Le caractères 神 se lit shén en chinois, d’où la prononciation sino-japonaise shin. Il peut se traduire par esprit, divinité, dieu ; il désigne donc les kamis. Le caractère 道, quant à lui, se lit dào en chinois, se prononçant tō ou dō en lecture sino-japonaise, et michi en lecture japonaise. Il se traduit par route ou chemin, ou, de façon plus philosophique, par voie.
Ainsi, cette combinaison de caractères a deux lectures. La première, qui est aussi la plus connue, est la lecture sino-japonaise : shintō, tandis que la seconde est purement japonaise : kami no michi, ce qui signifie littéralement “la voie des kamis”.
神道 shéndào est, à l’origine, un terme bouddhiste. Mark Teeuwen, dans son article intitulé From Jindo to Shinto: A Concept Takes Shape (2002), explique que cette expression était utilisée dans des biographies d’éminents moines chinois, comme le 高僧伝 Gāosēngzhuan (519), afin de désigner les “divinités non-bouddhistes qui entravent le bouddhisme, ou divinités qui sont domestiquées par les moines bouddhistes”. Il est donc tout à fait probable que le terme ait été introduit au Japon en même temps que le bouddhisme.
Prononcé jindō, il englobe alors également les croyances populaires natives, dépourvues jusque-là de noms, de l’archipel. Ainsi, à l’origine, ce terme ne désigne absolument pas de façon exclusive ce qu’on appelle aujourd’hui le shintoïsme. Il a d’ailleurs, dans les sources les plus anciennes, une connotation péjorative : qualifier les divinités locales de non-bouddhistes met en avant un problème et la nécessité de les convertir au bouddhisme.
C’est à partir du XIe siècle que cela commence à changer. Une nouvelle doctrine, selon laquelle il y aurait un lien entre le bouddhisme et les divinités japonaises, émerge, ce qui entraîne une nouvelle interprétation du terme jindō : les kamis seraient une manifestation locale des bodhisattvas.
Ce n’est qu’à partir du début du XVe siècle que la lecture shintō fait son apparition : le changement de lecture de ces caractères marque le passage de simple mot à concept à part entière, le terme ne recouvrant plus que cet ensemble de croyances spécifiques (et non plus tout ce qui n’est pas du bouddhisme).
Dans les paragraphes suivants, qui retracent dans les grandes lignes l’histoire de ce courant de pensée, nous utiliserons, par commodité, les termes de shinto ou de shintoïsme.
Les premiers textes relatifs au shintoïsme
Le shintoïsme, à l’origine seul courant religieux au Japon, était resté dans une approche plutôt orale, et la majorité de ses sites n’étaient pas permanents. En effet, dans la tradition shinto, la nature elle-même est considérée comme un sanctuaire, et souvent, seule une structure temporaire avec un autel était installée sur un site sacré avant d’être retirée.
Mais l’arrivée du bouddhisme, avec ses édifices fixes et souvent grandioses, a changé la donne, et les sanctuaires shinto ont commencé à se fixer à des endroits précis pour ne plus en bouger.
Le shintoïsme commence à rédiger ses premiers textes fondateurs, dont le Kojiki (古事記, « Chronique des faits anciens », 712) et le Nihon shoki (日本書紀, « Chroniques du Japon », 720).
Outre le fait de permettre de structurer la pensée shinto, cela sert d’autres objectifs : d’abord de montrer l’étendue du raffinement japonais à leur impressionnant voisin, l’Empire chinois, et ensuite de légitimer la position de la maison impériale japonaise, en tant que descendante directe de la déesse du soleil Amaterasu.
Mais que racontent ces fameuses chroniques ?
Le Kojiki est un recueil de mythes concernant l’origine des îles formant le Japon, et des kamis : divisé en trois parties, la première aborde les récits mythologiques, tandis que les deux autres sont consacrées aux origines divines de la famille impériale. Ces trois parties se suivent chronologiquement, traçant une généalogie depuis les dieux primordiaux, jusqu’à l’impératrice Suiko (593-628). Le Kojiki est généralement considéré comme le plus ancien écrit japonais existant, et est écrit en japonais, transcrit avec des caractères chinois.
Le Nihon shoki commence par des récits mythologiques, mais aborde ensuite les événements historiques contemporains : il se concentre sur les mérites et les erreurs des souverains, et rapporte, par exemple, les contacts diplomatiques avec la Chine et la Corée. Écrit intégralement en chinois (comme il était coutume pour les documents officiels à l’époque), il fait partie d’un corpus appelé rikkokushi (六国史, Six histoires nationales), qui compile l’histoire du Japon des origines jusqu’en 887.
Les légendes qu’ils contiennent ont inspiré beaucoup de croyances et de pratiques du shintoïsme, et décrivent notamment l’origine divine de la famille impériale japonaise.
Attention : ces deux documents ne constituent pas du tout des équivalents de ce que sont la Bible ou le Coran. Ni le Kojiki, ni le Nihon shoki ne sont des textes sacrés, et ils ne visent pas à établir une doctrine valable pour l’ensemble du shintoïsme.
Si la lecture du Kojiki vous intéresse, vous pouvez en trouver une traduction en langue anglaise à cette adresse : lien. Elle a été faite en 1919 par Basil Hall Chamberlain, un écrivain britannique qui fut également conseiller étranger au Japon pendant l’ère Meiji.
Histoire du shintoïsme
Avant d’aborder l’histoire du shintoïsme, il convient de faire un petit point sur l’histoire du Japon en général. Les historiens et archéologues ne sont tous toujours d’accord sur la façon dont l’histoire, en particulier la préhistoire, s’est déroulée.
Par ailleurs, les notions de préhistoire et de néolithique sont généralement interprétées en Occident par le prisme de notre propre évolution. Le Japon a connu une évolution particulière, même en comparaison des autres pays d’Asie, ce qui peut s’expliquer par son statut d’archipel où la mer a joué tour à tour un rôle de barrière infranchissable et de voie commerciale.
À noter également que la forte acidité du sol japonais fait que peu de squelettes se sont conservés avec le temps, l’histoire du pays est donc déduite en grande partie à partir des objets et d’habitats découverts lors des fouilles, ainsi que les quelques œuvres écrites, notamment des archives dynastiques chinoises.
Émergence durant la Préhistoire
Les origines exactes du shintoïsme restent encore aujourd’hui assez méconnues. On estime qu’elles dateraient de l’ère Jōmon (qui couvre une période qui va approximativement de 13 000 jusqu’à environ 400 avant notre ère[2]). Il semblerait que les populations considéraient, déjà à l’époque, que tous les éléments de la nature, comme les montagnes, les rivières et les animaux, étaient habités par des êtres spirituels.
Aux alentours du VIIIe siècle avant notre ère, on assiste à l’arrivée de populations nouvelles dans le nord de l’île de Kyushu, par le biais du continent et de la péninsule coréenne à travers la mer. Si on sait qu’elles provenaient certainement de la région chinoise du sud du Yangzi, on ignore en revanche leur nombre. Les spécialistes eux-mêmes ne parviennent pas à se mettre d’accord : était-ce un déplacement important ou seulement des immigrants peu nombreux ?
Dans tous les cas, l’arrivée de ces populations (quel que soit leur nombre réel) s’accompagne de celle d’une nouvelle culture appelée culture Yayoi. En effet, elles apportent avec elles différentes techniques, comme l’agriculture du riz inondé, le tissage, l’utilisation du fer et du bronze, etc.
Beaucoup d’éléments liés aux croyances, rites et légendes sont importées en même temps, et se mêlent inextricablement aux croyances indigènes. À noter qu’il existe quelques communautés aïnous qui pratiquent encore de nos jours le koshintō dans sa forme ancienne.
Historiquement, on considère que la culture Yayoi dure de 800/400 avant notre ère à 250, mais elle ne remplace pas immédiatement la culture Jōmon. En effet, au moment où la culture Yayoi se répand dans la partie occidentale et méridionale de l’archipel où les nouveaux arrivants se mélangent assez rapidement aux populations locales, la progression de cette nouvelle civilisation à l’Est est le fait d’une influence purement culturelle. Quant au Nord, la culture Jōmon persiste encore un bon moment.
Des fouilles archéologiques ont permis de retrouver plusieurs objets datant de la période Yayoi qui attestent de l’existence, dès cette époque, d’une forme de shinto archaïque. On peut ainsi mentionner la découverte de joyaux magatama (un ornement généralement fabriqué en ambre, pierre, jade ou verre, et dont la forme évoque un croc percé ou une virgule), de miroirs cérémoniels et d’épées considérées comme sacrées, trois éléments qui jouent un rôle important dans la mythologie shintoïste, et constituent, par ailleurs, des insignes impériaux.

Par ailleurs, il existe, déjà à cette époque, des divinités tutélaires des clans : on les nomme 氏神 ujigami. Et la plus importante de ces divinités tutélaires est Amaterasu, qui veille sur le clan Yamato.
Enfin, les populations procédaient déjà à des ablutions pour se purifier des souillures à la suite de la période de deuil.
Après le Yayoi commence une nouvelle période, phase ultime de la préhistoire japonaise : l’ère Kofun, qui dure environ trois siècles, de 250 à 538 de notre ère. Les informations concernant cette période sont nettement plus parcellaires que celles des deux précédentes, et même les archives dynastiques chinoises sont moins prolixes sur le sujet.
Si l’apport de cette période au développement du shintoïsme est difficile à évaluer, on constate néanmoins la présence d’une combinaison d’objets particuliers dans les tombeaux des chefs : miroir, jade et épée, ce qui n’est pas sans rappeler les trois éléments sacrés.
Ces tombeaux sont justement ce qui a donné son nom à cette période protohistorique : 古墳 kofun signifie « tertres anciens » ou « tombeaux antiques ». Cette période est caractérisée par la construction de tombeaux de plus en plus imposants pour les chefs locaux et leur famille. Cette nouvelle habitude funéraire pourrait être inspirée par les rites chinois.
De plus, les tombeaux sont volontairement construits en hauteur, les faisant ressembler à une montagne. Cela pourrait être une façon pour la communauté de rendre un culte à l’esprit du chef qui serait devenu une sorte de divinité.

Si ce modèle de civilisation domine dans l’ouest du pays, ce n’est pas le cas dans tout l’archipel. Ainsi, les zones les plus septentrionales restent en dehors de la zone d’influence des chefferies et c’est la culture Jōmon qui continue à se perpétuer.
La préhistoire japonaise s’achève au VIe siècle, avec l’arrivée du bouddhisme et de l’écriture chinoise dans l’archipel.
[2] Il est difficile de dater précisément les différentes périodes de la préhistoire, car certaines d’entre elles se sont chevauchées, parfois sur de longues périodes. C’est par exemple le cas de l’ère Jômon et de la culture Yayoi.
L’arrivée de courants de pensée extérieurs
Jusque-là, le shinto sous sa forme archaïque était globalement le seul ensemble de croyances présent dans l’archipel. Mais la situation change lorsque le bouddhisme arrive au Japon au VIe siècle, en 538 ou en 552, au terme d’un lent voyage depuis l’Inde, à travers le Népal, le Tibet, la Chine et enfin la péninsule coréenne.

Source : L’Histoire.fr
À noter qu’il n’est pas le seul, il arrive accompagné du confucianisme et du taoïsme, qui contribueront également, mais de façon moins flagrante et reconnue, à façonner le shintoïsme dans la forme moderne qu’on connaît aujourd’hui.
Comme tout ce qui provient du continent, sa dispersion dans l’archipel n’est pas homogène : c’est en effet dans le sud et l’est du Japon qu’il fait son entrée, en particulier dans le Kinki, région qui correspond plus ou moins au Kansai d’aujourd’hui. Un souverain y règne, entouré d’une coalition de familles, qui accueillent avec intérêt ces nouveaux courants de pensée pourtant si différents des croyances et rituels locaux.
Avec intérêt, certes, mais néanmoins avec prudence. Car s’il y a des interrogations sur la nécessité d’adopter, comme les royaumes et empires voisins, le bouddhisme comme religion officielle, des inquiétudes perdurent quant aux risques de froisser les divinités locales.
C’est d’abord parmi les aristocrates que le bouddhisme trouve ses premiers fidèles : dès l’arrivée des missionnaires bouddhistes, un certain nombre de courtisans embrassent cette nouvelle religion, à titre personnel ou au nom de leur clan, et les statues de Bouddha qui commencent à fleurir de-ci de-là sont perçues comme la manifestation d’un puissant kami.
Mais si l’accueil est globalement assez enthousiaste, des protestations s’élèvent tout de même.
Lorsque des épidémies ravagent le pays ou que des catastrophes se produisent, certains arguent que les divinités locales mécontentes se vengent, et vont même dans certains cas détruire des pagodes ou brûler des sûtras.
Cela n’empêcha pas le bouddhisme de devenir la religion officielle à la cour impériale en 592, à peine quelques décennies après son arrivée dans l’archipel. Cependant, cette adoption reste globalement concentrée sur l’aristocratie, la majeure partie de la population n’étant pas touchée jusqu’au début de l’époque Heian (794 – 1185).
Cohabitation religieuse
Contrairement à ce qu’on pourrait attendre lorsqu’une religion étrangère arrive dans un nouvel espace, le bouddhisme n’entre pas en compétition avec les croyances locales ni ne cherche à les supplanter. Ils édifient leurs temples à proximité des sanctuaires, en proclamant qu’il n’existe aucune différence entre les deux religions.
Et ce n’est pas surprenant, considérant que, depuis sa naissance en Inde au VIe siècle avant notre ère, le bouddhisme est déjà syncrétique, après avoir dû s’adapter et fusionner avec d’autres religions et cultures en Inde, en Chine et dans la péninsule coréenne.
Plus d’infos: Le Bouddhisme en Asie : introduction et adaptation d’une religion à la culture locale (Partie 1)
Il y a une sorte d’ambivalence religieuse : le shinto conserve son approche spirituelle, en restant centré sur les questions relatives au monde terrestre, tandis que le bouddhisme se concentre davantage sur le salut de l’âme et la possibilité d’une vie après la mort.
Cette ambivalence conduit à l’apparition, à la fin de la période Heian, de ce qu’on appelle le 両部神道 ryōbu shintō (qui signifie « double shinto ») : on considère que les kamis shintos et les bosatsu bouddhistes sont une seule et même divinité.

Ce syncrétisme nous provient du célèbre maître Kūkai 空海 (774-835), pour qui il n’existait aucune différence essentielle entre les grandes figures du shintoïsme et du bouddhisme. Kūkai a profondément marqué l’histoire du Japon. Ses actions et sa grande bienveillance lui valent d’ailleurs encore aujourd’hui une certaine popularité. Son tombeau se trouve au monastère du Mont Koya, qu’il a lui-même fondé.
Ainsi, il n’est pas rare de voir se côtoyer des autels shinto et bouddhiste dans une même enceinte sacrée.
Par ailleurs, un personnage en particulier joue un rôle important dans la place des religions dans la vie politique : il s’agit de Tenmu, le quarantième empereur du Japon qui régna de 672 à 686.
Tout en favorisant la progression du bouddhisme dans le pays, il renforça le lien entre les divinités locales et le souverain, et fit de ce dernier un personnage à moitié divinisé. Il se désigna lui-même sous le nom de 現神 akitsukami, ce qui signifie “manifestation vivante de la divinité”.
De plus, avant de devenir l’empereur, il dut fuir la capitale et, sur sa route, il s’arrêta au sanctuaire d’Ise, où l’on révère Amaterasu, la divinité du Soleil de laquelle la famille impériale japonaise descend. Après son arrivée au pouvoir, il restaura la pratique consistant à envoyer une vestale (jeune femme faisant vœu de chasteté et devenant prêtresse) de la famille impériale à Ise, et inaugura la tradition de reconstruction du pavillon de la déesse du soleil tous les vingt ans.
Cette tradition perdure encore aujourd’hui.
Enfin, je vous parlais plus haut du Kojiki et du Nihon shoki, les premières chroniques du Japon. En 681, soit trois décennies avant la rédaction des deux chroniques, Tenmu ordonna la compilation d’une histoire officielle qui devait permettre de fixer par écrit “l’histoire de la monarchie et les grands faits anciens”. Si cette compilation a aujourd’hui disparu, certains spécialistes pensent qu’elle aurait pu servir de support pour la rédaction du Kojiki et du Nihon shoki.
Le cas particulier du taoïsme
Si l’influence bouddhiste se remarque très facilement, et est beaucoup commentée lorsque l’on aborde la culture et l’histoire japonaise, le taoïsme a également exercé une influence importante. Cela se voit principalement dans la formulation de certains noms propres.
Par exemple, le mot Yamato qui désigne l’empire japonais de 250 à 710, s’écrit avec les kanjis 大和. Cela peut se traduire littéralement par “grande harmonie”, vocabulaire issu du taoïsme.
De la même façon, les dénominations qui furent conférées post-mortems à Tenmu – car les souverains changent de nom à leur mort – renvoient directement à des conceptions taoïstes, comme 天渟中原瀛真人 Amanonunaharaokinomahito “sage de la montagne” et 天皇 tennō “roi de la constellation” ou “empereur céleste”.
Les textes officiels publiés par l’empereur Tenmu sont également truffés de formulations taoïstes.
Par ailleurs, concernant plus spécifiquement le shinto, les recherches ont révélé des similitudes entre les deux courants de pensée qui sont loin d’être anodines. On peut par exemple citer le miroir et l’épée, deux des trois insignes impériaux, qui sont aussi des attributs essentiels dans la pratique du Tao.
Au niveau des concepts, les rituels de purification misogi et harae proviennent à l’origine des pratiques taoïstes. Pierre-François Souyri explique en outre dans son livre Nouvelle Histoire du Japon (Perrin, 2010) que “les mots qui accompagnent ces cérémonies [de purification] s’inspirent directement des formules magiques de nature taoïste”.
Ainsi, l’influence exercée par le taoïsme, tant sur la vie politique que religieuse du Japon, est évidente. Elle a longtemps été omise par les historiens qui se concentraient davantage sur l’opposition shintoïsme/bouddhisme, mais elle commence à être de plus en plus considérée par certains spécialistes.
Le shinto d’État
Du XIIe jusqu’au XIXe siècle, c’est le shogunat qui domine et l’empereur comme le shintoïsme sont mis en retrait.
À partir du XVIIIe siècle, une minorité de personnes tentent de séparer ce qu’elles considèrent comme le vrai shintoïsme des influences étrangères (aka le bouddhisme, entre autres choses). Le recours aux anciens textes, pour justifier leur position, se solde cependant par un échec, car dès le Nihon shoki, des parties des récits mythologiques sont tirées des croyances chinoises.
Cet échec ouvre cependant la voie au shintoïsme d’État.
Avec la refonte de la constitution en 1868 sous l’ère Meiji, l’empereur reprend le pouvoir qui était accaparé par les shoguns, et en 1871, le shinto devient la religion d’État : on l’appelle alors 国家神道 Kokka shintō, et un Office du culte shintō (Jingikan) est établi peu après, afin de promouvoir les rites et le culte officiel. C’est la première fois que le culte shinto est centralisé et unifié.
Tout cela s’accompagne d’un regain d’intérêt pour les ouvrages shintos, le Kojiki et le Nihon shoki.
L’empereur du Japon, présenté comme le descendant de la déesse Amaterasu, fait l’objet d’un véritable culte, et un sanctuaire dédié au fondateur mythique de la dynastie, l’empereur Jinmu, est construit. Et ce culte prit une importance primordiale lors de l’expansionnisme du Japon durant l’ère Shōwa (1926-1989), où il fut instrumentalisé pour stimuler la fibre nationaliste et justifier la militarisation auprès de la population japonaise.
Cette approche n’a cependant pas grand-chose en commun avec les croyances populaires et le culte des kamis. Cela caractérise néanmoins un certain rejet du bouddhisme, en prônant un retour aux origines.
Par ailleurs, le récit de l’instauration du règne de l’empereur Jinmu et de la lignée impériale japonaise occupe une place importante dans le shintoïsme. Il est étroitement lié à la région du Yamato sur Honshū, l’île principale de l’archipel nippon, où est situé le sanctuaire le plus important du shinto, celui d’Amaterasu à Ise.
La légende issue du Kojiki et du Nihon Shoki

Le dieu Susanoo, frère d’Amaterasu, fut banni du ciel après avoir causé de nombreux désagréments aux autres dieux. Arrivé sur Terre, il sauva une princesse prisonnière d’un dragon qu’il terrassa. Dans l’une des trois queues du monstre, il trouve une épée magique, nommée Kusanagi (faucheuse d’herbe), qu’il offrit à Amaterasu en guise d’offrande de paix. Cette épée devint alors un des trois attributs d’Amaterasu.
Il épousa ensuite la princesse, et ensemble, ils fondèrent la dynastie d’Izumo, une dynastie de dieux puissants qui finirent par régner sur la Terre. Le plus grand d’entre eux fut Ōkuninushi, le grand seigneur du pays.
Dans le même temps, Amaterasu souhaitait que son fils, Ninigi, gouverne le Japon, mais cela n’était pas possible avec la présence de la dynastie d’Izumo. Selon un accord entre les dieux, Ninigi était supposé régner sur le monde visible, tandis que les descendants de Susanoo devaient régner sur le monde caché.
Ninigi descendit alors sur terre, où il atterrit au sommet de Takachiho, à Kyūshū. Porteur de trois talismans : un miroir sacré, l’épée magique Kusanagi et un joyau de fertilité magatama, il conclut un marché avec Ōkuninushi. Si ce dernier acceptait de lui laisser sa place de dirigeant, alors il serait reconnu comme protecteur perpétuel de la famille impériale.
La famille impériale joua de cette histoire, d’une part pour prouver sa légitimité face aux autres clans, et d’autre part pour s’assurer la fidélité de ces derniers qui jouissaient alors également d’origines divines, tout en restant soumis à la lignée principale.
Cela prend fin au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En effet, la défaite du Japon conduit l’empereur à renoncer à toutes ses prétentions à la divinité, et jette le discrédit sur le shinto d’État, en raison de ses liens profonds avec le militarisme et l’impérialisme japonais.
En 1947, la Constitution est révisée, à la demande du Commandant suprême des forces alliées, Douglas MacArtur : l’empereur est privé de ses pouvoirs exécutifs, et dans le même temps, la révision interdit à l’État d’intervenir dans les affaires religieuses.
C’est la fin du shinto d’État…
La place du shintoïsme au lendemain de la guerre
… mais pas celle du shinto.
Expurgé de ses ambitions/conceptions politiques, c’est un shinto pur qui continue à recevoir l’adhésion de la population, et ainsi à prospérer. Ne dépendant désormais plus de l’Etat, une association non-gouvernementale des sanctuaires shinto, Jinja honchô, est mise en place. Sur les 100,000 jinja existants, environ 80,000 sont inscrits auprès de cette association.
Malgré l’apparition de nouveaux courants religieux, bien souvent basés sur le shintoïsme, la population fut, globalement, plus mesurée. Suite à la défaite, de nombreuses personnes blâmèrent la prétention démesurée de l’Empire qui l’avait mené à sa chute.
Ce fut finalement un shintoïsme moins axé sur la mythologie qui se fit une place dans la société. Ce dernier se concentrait sur les gens ordinaires en les aidant à maintenir de bonnes relations avec leurs ancêtres et les kamis.
Bien que le courant de pensée soit toujours une part fondamentale de la mentalité japonaise, moins de personnes se disent animées d’un sentiment religieux. En fait la plupart des Japonais ont une vision plutôt neutre de la religion, ce qui explique également cette facilité à en pratiquer plusieurs en même temps.
On entend souvent dire qu’au Japon, on naît shinto, on se marie chrétien et on meurt bouddhiste. Cela représente assez bien le rapport à la religion des Japonais, qui est non-exclusif.
Dans le rapport 2022 du Bureau des statistiques japonais (qui dépend du ministère des affaires intérieures et de la communication), une section est consacrée aux affaires religieuses, et notamment aux organisations et à leurs adhérents. On apprend ainsi qu’en 2019, sur le nombre total de Japonais qui adhèrent à des organisations religieuses, quelques 48% adhèrent à une organisation shintoïste, pour 46% aux organisations bouddhistes.
Le rapport précise par ailleurs que de nombreuses personnes adhèrent à la fois au shintoïsme et au bouddhisme, ainsi le nombre d’adhérents total dépasse la population japonaise. Sans compter qu’un certain nombre de personnes pourraient être pratiquantes d’une ou plusieurs religions sans pour autant adhérer à une organisation précise.

Par ailleurs, le shintoïsme est, encore aujourd’hui, présent dans de nombreux pans de la vie quotidienne japonaise. À titre d’exemple, on peut mentionner le sumo, sport national, qui provient à l’origine d’un ancien rituel honorant les kamis. Mais pour la plupart des Japonais, la visite des sanctuaires ou les matsuri ne sont pas l’expression d’une foi, mais seulement du folklore japonais.
On assiste néanmoins à un retour en quelque sorte du shintoïsme d’État depuis la fin des années 1990. En effet, si les Américains se sont appliqués à détruire cette idéologie, en séparant notamment État et religion, l’une des clefs de voûte de ce système a perduré. Il s’agit du sanctuaire de Yasukuni.
Anciennement institution nationale spéciale placée sous l’autorité conjointe des ministères de l’Armée, de la Marine, et de l’Intérieur, il est devenu une association religieuse, indépendante de l’État, et autonome, dans la mesure où il ne fait pas partie de l’association des sanctuaires shinto du Japon. Ce sanctuaire sert principalement à commémorer l’âme des guerriers japonais morts en combattant pour l’Empereur.

Cela ne constituerait pas de problème si les noms des criminels de guerre japonais (jugés après la Seconde Guerre mondiale) n’étaient pas aujourd’hui inscrit sur le registre du sanctuaire, ce qui leur confère un statut de semi-divinités. Et l’ancien Premier ministre, Koizumi Jun’ichirô, y a effectué un pèlerinage, repris par Shinzo Abe en 2013. De quoi accentuer les tensions entre le Japon et ses voisins.
Pratiquer le shintoïsme
Plan d’un sanctuaire
Les sanctuaires shinto sont, le plus souvent, désignés sous le terme de 神社 jinja, même si on retrouve parfois les termes de 神宮 jingū, ou de 大社 taisha (qui signifie littéralement « grand sanctuaire »).
Détailler chaque partie du sanctuaire serait aussi long que fastidieux. Ainsi, nous n’aborderons que certaines d’entre elles qui sont, à mon sens, les plus importantes à connaître. Par ailleurs, s’il y a des éléments que l’on retrouve systématiquement dans un sanctuaire (comme le torii ou le honden), le nombre de bâtiments peut varier selon l’importance de chaque sanctuaire.

Un sanctuaire est toujours entouré d’une forêt, quelle que soit sa taille. Aujourd’hui perçu comme une forme de protection, il s’agit en fait d’un héritage du shinto ancien, qui honorait la nature et en faisait un objet de vénération à part entière. On appelle ces forêts 鎮守の森 chinju no mori, ce qui signifie “la forêt où demeurent les kamis”.
Cette importance des forêts dans le shinto s’est d’ailleurs particulièrement illustrée lors des campagnes de reforestation dans le Japon d’après-guerre, ce qui permet au pays aujourd’hui de figurer à la 3e place des pays les mieux reboisés au monde.
Une fois le torii (1) franchi, on arrive d’abord à un petit pavillon contenant un bassin, alimenté par une fontaine, dont la forme peut varier. Ce pavillon (4) s’appelle 手水舎, chōzuya ou temizuya en japonais.

Il est essentiel de s’y arrêter lorsque l’on visite un sanctuaire, afin de se purifier de façon symbolique. On y utilise les louches à long manche à disposition, en lavant d’abord sa main gauche, puis la droite, en remplissant la louche sous le jet de la fontaine. On termine en rinçant le manche de la louche.
La forme de la fontaine elle-même peut varier d’un temple à l’autre. La forme la plus basique est un simple bout de bambou, mais certains sanctuaires utilisent des fontaines en forme d’animal. Ainsi, on retrouve des fontaines en forme de renard dans les sanctuaires d’Inari ou en forme de daim dans le sanctuaire de Nara.

Après s’être purifié au temizuya, direction le 拝殿 haiden. C’est le bâtiment consacré au culte dans les sanctuaires. Il est facilement identifiable car c’est le plus imposant des bâtiments du sanctuaire, et on y retrouve très souvent les mêmes objets devant.
C’est par exemple le cas du 本坪鈴 hontsubozu, une clochette fixée le long d’une corde. La faire sonner fait partie de la prière, cela permet d’attirer l’attention du kami. Juste en dessous est placé un coffre en bois, ajouré sur le dessus. Appelé 賽銭箱 saisen-bako, il sert à récolter les pièces de monnaie (souvent des pièces de 5 yens car elles portent chance) données par les fidèles lors de leurs prières.

Attention, on ne peut pas entrer dans le haiden comme on veut, il est réservé aux cérémonies shintos, et vous ne pouvez y pénétrer que si l’on vous y invite ou si vous assistez à un office religieux prévu. D’ailleurs, ses portes sont bien souvent fermées. Mais si elles sont ouvertes, vous pourrez apercevoir l’intérieur, avec son autel et ses quelques objets caractéristiques.
Dernier lieu de la plus haute importance dans un sanctuaire, il s’agit du 本殿 honden (13). Selon la taille et l’importance du sanctuaire, le honden peut-être un bâtiment à part entière, généralement situé derrière le haiden et entouré d’une barrière, ou dans une pièce à l’arrière du haiden. C’est l’endroit le plus sacré d’un sanctuaire, ainsi son accès y est restreint, même pour les prêtres : seul le prêtre le plus haut gradé peut y pénétrer.
À l’intérieur du honden se trouve le 御神体 goshintai, c’est à dire ce qui va servir de réceptacle au kami. Il s’agit souvent de l’un des trois objets sacrés du Japon : le miroir, l’épée ou le magatama, mais il peut aussi être un objet naturel. Seul le grand-prêtre d’un sanctuaire sait à quoi ressemble le goshintai.
Quelques symboles distinctifs

Torii 鳥居
Le plus emblématique d’entre eux est sans nul doute le torii (1), si bien qu’il est utilisé pour indiquer la présence de sanctuaires shinto sur les cartes.
Le torii, 鳥居 en japonais (soit littéralement, l’endroit où réside les oiseaux) est la porte d’entrée d’un sanctuaire shinto, permettant le passage du monde des humains au monde spirituel. Il faut donc passer à travers lorsqu’on se rend au sanctuaire, de préférence en évitant la voie centrale réservée aux kamis (même si cette règle n’est plus autant respectée de nos jours), mais également lorsqu’on repart. Au risque, sinon, de rester bloquer dans le monde spirituel. C’est la raison pour laquelle certaines personnes, qui passent dans le coin mais ne comptent pas s’arrêter au sanctuaire, ni même de repasser, évitent d’emprunter le torii, en le contournant.
Les toriis existent depuis très longtemps, possiblement depuis les premiers sanctuaires shintoïstes. Leur origine exacte n’a pas pu être établie, mais il y a plusieurs hypothèses.
La première est mythologique, liée plus spécifiquement à la légende d’Amaterasu, le kami du soleil. Je mentionnais dans la légende issue du Kojiki et du Nihon Shoki que le frère d’Amaterasu, Susanoo, avait causé des désagréments aux autres kamis. À cause de cela, Amaterasu finit par s’enfermer dans une caverne, plongeant le monde dans les ténèbres. Pour l’en faire sortir, les autres kamis élaborèrent un plan : ils plantèrent deux sakaki (une espèce d’arbres qui poussent dans les régions chaudes du Japon) devant l’entrée de la caverne, auxquels ils accrochèrent un long cordon de joyaux, et firent chanter des coqs.
La divinité de la Gaieté et de la Bonne Humeur, Uzume, se mit ensuite à danser de façon très lascive, entraînant les rires des autres kamis. Cédant à la curiosité, Amaterasu finit par sortir de la grotte, et pour l’empêcher d’y retourner, un autre kami, appelé Futodama, étira un shimenawa, une corde de paille de riz tressée, entre les arbres. Et le soleil éclaira à nouveau le monde.
Une autre hypothèse se base sur la présence de portes sacrées dans d’autres pays asiatiques : elles seraient dérivées du torana indou, arche ou porte, ouvrant l’enceinte d’un lieu sacré ou d’une cité, qui se serait répandue sur le reste du continent asiatique en même temps que le bouddhisme. On les retrouve ainsi en Chine, sous les noms de paifang 牌坊 ou pailou 牌楼, ou dans la péninsule coréenne, sous le nom de hongsalmun 紅살門 en hanja, et 홍살문 en hangeul.

Quoi qu’il en soit, les toriis ont connus quelques modifications au fil du temps, avant d’atteindre leur forme plus ou moins définitive durant l’époque Nara (710-794). On en recense aujourd’hui 19 sortes différentes, qui se regroupent dans deux catégories principales : les toriis recourbés, appelés 明神鳥居 myōjin torii, et les toriis droits, appelés 神明鳥居 shinmei torii.


Shimenawa 標縄
Le shimenawa est une corde de paille de riz tressée (avec deux ou trois brins), qui délimite une enceinte shintoïste sacrée. Il est donc présent dans tous les sanctuaires, mais on peut également le retrouver sur les rochers et les arbres sacrés, vestiges de l’époque où le shintoïsme n’avait pas de sites de culte permanents et vénérait largement les éléments de la nature.
À l’origine, on utilisait du chanvre, mais suite à des restrictions sur la culture de cette plante depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la paille de riz ou la paille de blé ont été privilégiées. De nos jours, on en trouve même confectionnés avec des matériaux plus modernes, comme du polypropylène.
Placé autour d’un objet ou au-dessus d’un espace, il matérialise la pureté du lieu et protège l’espace intérieur.

Comme pour le torii, il est difficile d’établir son origine exacte. Cette fois encore, on peut mentionner l’hypothèse mythologique, avec l’emploi d’un shimenawa pour empêcher Amaterasu de retourner dans la caverne. Une autre légende raconte la façon dont Susanoo, le frère d’Amaterasu qui descendit dans le royaume terrestre, enseigna à la population à attacher une corde le long des routes afin de se protéger des maladies. Enfin, une dernière théorie suggère un lien avec l’habitude des nomades d’Asie centrale d’attacher une corde autour de leur campement.
Cette corde sacrée est souvent ornée de petits objets, comme des 紙垂 shide, banderoles de papier blanc en forme de zigzag, des 臭橙 daidai, une variété d’oranges amères asiatiques, ou des épis de riz. Chaque objet suspendu a sa propre signification et bénédiction.
Le tressage du shimenawa se fait de façon exclusivement manuelle, et nécessite au préalable d’avoir été lavé et purifié par l’eau, selon le rituel shinto. Cette tâche est en général confiée à des artisans japonais ou aux membres du sanctuaire, et peut parfois nécessiter la participation de plusieurs dizaines de personnes, selon la taille du shimenawa.
En effet, certains peuvent atteindre plusieurs centaines de kilogrammes ! Le plus grand d’entre eux se trouve au grand sanctuaire d’Izumo Taisha. Avec ses 13,5 mètres de long et 8 mètres de large, il pèse environ 5 tonnes et aura nécessité plus de 800 personnes pour le fabriquer.

Ema 絵馬
Le terme 絵馬 ema s’écrit avec les caractères de l’image et du cheval.
En effet, le cheval est traditionnellement perçu comme la “monture des dieux”, 神の乗り物 Kami no norimono en japonais. C’est la raison pour laquelle, durant la période Nara (710 – 184), les gens offraient des chevaux aux sanctuaires afin que les dieux soient plus disposés à écouter et exaucer leurs prières.
Mais les chevaux étaient chers, et évidemment, tout le monde n’avait pas les moyens d’en avoir. C’est ainsi qu’émergèrent petit à petit des figurines de chevaux, fabriquées en bois, en argile ou encore en papier. Puis les petites plaques en bois ornées d’un cheval apparurent.

Si dans un premier temps, elles ne représentent que des chevaux, à partir de la période Muromachi (1336 – 1573), certains sanctuaires commencent à y représenter leur propre symbole. C’est par exemple le cas pour les sanctuaires Inari avec la figure du renard.
De nos jours, on peut en trouver de toutes sortes, certaines d’entre elles représentant même des icônes de la pop-culture.
On peut les acheter au 社務所 shamusho (7), le bâtiment où s’effectue la gestion quotidienne du sanctuaire et qui abrite également un petit stand où l’on peut se procurer de petits objets comme les ema ou encore des amulettes, à une somme modique. Cela servira à payer une partie des frais du sanctuaire.

Les ema servent à écrire un vœu. Il n’y a pas de règle particulière sur la façon de l’y inscrire, il n’est pas non plus nécessaire d’y écrire en japonais. Une fois le vœu inscrit sur la plaque, il suffit de l’accrocher sur l’emakake 絵馬掛け (8), où sont accrochés tous les autres ema.
Et si vous souhaitez plutôt le conserver comme souvenir, vous pouvez évidemment repartir avec, au risque, cependant, que les kamis n’exaucent pas votre vœu…
Pour aller plus loin
Voilà qui conclut notre petite balade dans un sanctuaire shinto. Si vous souhaitez approfondir le sujet, voici quelques documents qui m’ont été d’une grande aide.
Ressources disponibles gratuitement en ligne :
- Traduction en anglais du Kojiki, Basil Hall Chamberlain, 1919 (lien)
- Shinto: The Kami Way, Sokyo Ono, Tuttle Publishing, 1962 (lien)
- From Jindo to Shinto: A Concept Takes Shape (article), Mark Teeuwen, 2002 (lien)
- On Ainu etymology of key concepts of Shintō: tamashii and kami, Tresi Nonno, CAES Vol.1, No 1, mars 2015 (lien)
Livres :
- Nouvelle histoire du Japon, Pierre-François Souyri, Perrin (2010)
- Shinto, Sagesse et pratique, Yamakage Motohisa, Sully Le Prunier (2014)
- Kojiki, Mythes choisis, Joffrey Chassat, Édition du Cénacle de France (2016)
- Le shintô, la source de l’esprit japonais, Emiko Kieffer, Sully Le Prunier (2019)
- Torii, temples et sanctuaires japonais, Joranne, Sully Le Prunier (2021)
5 commentaires sur « Le shintoïsme, compagnon omniprésent du quotidien japonais »