Funérailles molles

  • Titre du livre: Funérailles molles
  • Auteur: Fang Fang
  • Roman traduit par Brigitte DUZAN et ZHANG Xiaoqiu
  • Éditeur: L’Asiathèque
  • 468 pages – Format: 14 x 18 cm – EAN: 9782360571840
  • Parution: 13/02/2019
  • Prix: 24,50€

Description du livre

«  Je veux être enterrée dans un cercueil, dit la grand-mère.

– On n’a pas de cercueils prêts, que va-t-on faire ? demanda la troisième tante.

– Des funérailles molles, répliqua tout bas le beau-père de Daiyun, la mine soudain très sombre.

– Je ne veux pas de funérailles molles, s’écria la belle-mère de Daiyun en pleurant encore plus fort, si on est inhumé ainsi, on ne peut pas se réincarner. »

Lors de la Réforme agraire chinoise, au début des années 1950, une famille de propriétaires terriens décide de se suicider pour échapper aux séances publiques d’accusation, dites « séances de lutte ». Les corps sont enterrés sans linceuls ni cercueils dans des fosses creusées à la va-vite. La jeune Daiyun est désignée pour les combler, traumatisme, parmi d’autres, qui lui fera occulter le passé. Dépassant le cadre de la Réforme agraire et des drames qui l’ont accompagnée, Fang Fang se livre dans ce roman, savamment composé, à une réflexion sur la tentation de l’oubli et le devoir de mémoire dans un contexte où la vérité historique s’avère insaisissable.

Mon opinion

Fang Fang, de son vrai nom Wang Fang, est une écrivaine chinoise. Membre de l’association des écrivains du Hubei depuis 1989, elle en a pris la présidence en 2007.

A la fin de ses études secondaires, elle a travaillé pendant quelques années comme ouvrière, et commence à écrire. Lorsque l’examen d’entrée à l’université est rétabli après la Révolution culturelle (1966-1976), elle fait partie des premiers étudiants autorisés à le passer, ce qui lui permet d’intégrer l’université de Wuhan où elle étudie la littérature chinoise.

Engagée comme scénariste pour la chaîne de télévision du Hubei, elle publie en parallèle son premier roman, 大篷车上 (« Caravane »). Elle commence à se faire connaître avec le roman 风景 (Une vue splendide, disponible aux éditions Picquier, 1995) publié en 1987, qui lui vaudra le Prix national du meilleur roman deux ans plus tard. Ce récit est considéré comme l’une des premières œuvres du néoréalisme, qui émerge alors en Chine.

Fang Fang a écrit plus d’une centaine d’œuvres. Certaines d’entre elles lui ont valu des distinctions, comme le prix littéraire Lu Xun en 2010 pour sa nouvelle 琴断口 (littéralement « Piano Fracture »), qui n’a semble-t-il pas été traduite, ou encore le Prix Émile Guimet pour la littérature asiatique en 2020 pour son roman Funérailles molles, traduction française disponible aux éditions L’Asiathèque.

Elle s’est également fait davantage connaître en Occident grâce à la publication du journal qu’elle a tenu lors du confinement de Wuhan au début de l’année 2020. Intitulé Wuhan, ville close, il reprend ses publications quotidiennes, publiées sur le réseau social chinois Weibo. Cette traduction lui vaut aujourd’hui d’être assignée à résidence.

Elle figure par ailleurs sur la liste 2020 des 100 femmes, la série multiformats créée en 2013 par la BBC, dans l’équipe connaissance. La série concerne le rôle des femmes au XXIe siècle, et nomine des femmes inspirantes, et récompense celles qui font la différence en ces temps troublés.

***

C’est vrai que, de prime abord, je ne savais pas trop à quoi m’attendre en lisant le titre ou la quatrième de couverture. Le fait qu’il ait été édité par L’Asiathèque est, en soi, un gage de qualité, mais il est toujours difficile de savoir si un livre va nous plaire ou non. D’autant que j’ai tendance à me méfier des œuvres récompensées. Ce n’est pas parce que tout le monde parle de quelque chose que c’est forcément bien.

Mais parce que je connaissais déjà un peu l’auteur et que le résumé semblait très prometteur, j’ai sauté sur l’occasion lorsqu’une amie m’a proposé de me prêter son exemplaire.

Concernant le titre, « Funérailles molles », j’étais déjà un peu familiarisée avec le concept. Il me semble qu’il était également mentionné dans Le rêve du village des Ding, et il est tout à fait possible que j’en ai entendu parler lors de mes cours sur les coutumes et la société chinoises à la fac.

Pour celles et ceux à qui cela n’évoque rien, les funérailles molles se réfèrent tout simplement au fait d’être enterré sans cercueil. Je ne saurais me prononcer pour les autres cultures, mais dans la Chine traditionnelle, être enterré directement sans cercueil est une très mauvaise chose.

Les familles, même les plus pauvres, économisaient autant qu’elles pouvaient pour offrir un cercueil à leurs défunts. Certaines personnes s’assuraient même de s’en acheter un de leur vivant. Évidemment, de meilleure facture était le bois, le mieux c’était. Mais même le cercueil le moins cher était toujours mieux que de ne pas en avoir du tout.

Comme le dit la belle-mère dans le résumé, être enterré sans cercueil signifie que le défunt ne pourra pas se réincarner.

Quant à la période durant laquelle se déroule ces évènements, je dois dire que mes connaissances sur la Réforme agraire menée dans les années 1950 étaient relativement limitées. Je connaissais l’essentiel, mais je n’avais pas conscience des évènements tragiques qui l’avaient accompagnée. 

Cette réforme agraire est une campagne socialiste lancée par le chef du Parti communiste Mao Zedong en juin 1950. Pour faire simple, l’objectif était de rendre les terres, alors propriétés de riches familles, aux paysans qui les cultivaient, et de partager leurs biens (résidences, vêtements, bijoux, etc.).

Le problème, c’est que cette campagne n’a pas été menée de façon pacifique : même lorsque les familles de propriétaires terriens coopéraient, elles faisaient face à une sorte de tribunal populaire.

Ainsi, les membres de ces familles se retrouvaient forcé de participer à des séances de lutte durant lesquelles ils devaient avouer leurs fautes, qu’elles soient réelles ou non, devant d’autres prisonniers qui les accusaient, les insultaient et les frappaient. Cela pouvait durer des semaines, et beaucoup n’y survécurent pas.

Selon les estimations, entre 1 et 5 millions de personnes seraient mortes durant cette période, dont la plupart étaient des propriétaires et leurs enfants, ainsi que leurs proches

C’est un sujet très sensible en Chine, et peu traité dans la littérature chinoise, en raison des tabous qui lui sont attachés et des traumatismes laissés dans la population.

Funérailles molles est publié en août 2016 aux éditions Littérature du peuple, et est dans un premier temps bien accueilli. Cela change lorsqu’il reçoit le prix Lu Yao en avril 2017, ce qui lui vaut de vives attaques de la part d’une frange ultra-conservatrice du Parti communiste chinois.

Il est alors interdit, mais continue à circuler, récoltant des commentaires très positifs de nombreux lecteurs et internautes chinois.

Ce n’est pas seulement un roman : il est inspiré d’une histoire vraie, et tout en documentant une période tragique et meurtrière de l’histoire récente de Chine, il livre également une réflexion sur la tentation de l’oubli et le devoir de mémoire, « dans un contexte où la vérité historique s’avère insaisissable ».

***

Sans pouvoir trop entrer dans les détails (car je risquerai alors de vous spoiler, ce qui n’est pas du tout le but de nos critiques littéraires !), ce livre m’a profondément touchée. Je me sentais tellement investie dans la vie de Ding Zitao et de son fils Wu Qinling que j’avais du mal à lâcher le livre.

En lisant le résumé, je n’étais vraiment pas prête à l’histoire complexe que nous livre ici Fang Fang. Si la Réforme agraire et les drames qui s’y sont produits sont le point de départ du récit, l’auteur nous entraîne en réalité successivement d’une époque à une autre, tantôt livrant des détails sur les évènements du XXe siècle, tantôt suivant la vie actuelle au XIXe siècle.

L’auteur ne nous livre jamais plus de détails que nécessaire, afin de pouvoir appréhender les évènements sans être complètement submergés par les informations nouvelles. Mais niveau émotions, ne revanche, le lecteur se retrouve rapidement balloté en tout sens, car de tels drames ne peuvent pas laisser de marbre.

Son style d’écriture est très agréable à lire et permet de se plonger efficacement dans le récit. Fang Fang fait régulièrement mention de la littérature classique, les personnages citant des extraits de poèmes d’auteurs plus ou moins connus, ou utilisant des expressions typiquement chinoises, ainsi que d’évènements historiques, mais ces mentions sont toujours accompagnées de notes de bas de page claires et concises. Ainsi, une profonde connaissance de la Chine, de son histoire ou de sa culture, n’est pas indispensable pour comprendre le roman.

Pour conclure, je dirais que Funérailles molles compte parmi mes livres préférés, et que je ne manquerai pas de me l’acheter. Il y a des livres que l’on se contente de lire une fois, et qu’on n’ouvre plus jamais, même si la lecture a été agréable. Ce n’est pas le cas de ce roman. Pour moi, il a vraiment mérité d’être lauréat du Prix Emile Guimet 2020, et je le relirai avec grand plaisir !

Emprunté auprès d’une amie en mai 2022 – Fiche rédigée le 11/05/2022

Publié par Meana

Passionnée par les pays d’Asie du Sud-Est et leur culture depuis plus de 15 ans, j’ai voyagé en Chine, Corée du Sud, Japon et Taïwan. J’ai même vécu un an à Pékin ! Je m’intéresse particulièrement à la portée historique des lieux et concepts, et aux habitudes de vie asiatiques.

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Corall and Meana

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading