Le Bouddhisme en Asie : introduction et adaptation d’une religion à la culture locale (Partie 2)

Cet article va traiter et balayer le bouddhisme. Le sujet étant un peu complexe et également très riche, il s’agit uniquement d’un condensé et d’une vulgarisation de cette religion et philosophie. Comme pour les autres articles culturels, vous trouverez à la fin de ce dernier une liste de lecture et autres recommandations pour vous permettre d’aller plus loin sur le sujet et d’en apprendre davantage.

Le sujet étant trop complexe pour résumer les différents pays qui seront traités dans cet article, celui-ci est donc divisé en deux parties. Il s’agit ici de la seconde partie de l’article.

Petit rappel avant de débuter…

Carte représentant la diffusion du bouddhisme en Asie
Source : L’Histoire.fr

La Corée

L’arrivée du bouddhisme en Corée

Le bouddhisme arrive sur la péninsule coréenne en 372, soit très tôt après la mort du Bouddha historique. À cette époque, la seule religion présente sur le territoire est le chamanisme.

De par sa nature, le bouddhisme s’est aisément introduit puis installé en Corée puisque ce dernier n’entre pas en conflit apparent avec les rites de vénération de la nature, et finit par se fondre totalement avec le chamanisme.

La conséquence de cette fusion est que les montagnes, réputées pour abriter les esprits chamaniques, deviennent les sites d’implantation des temples bouddhiques.

Dans le chamanisme coréen, trois esprits sont considérés comme essentiels : San-Shin 산신 (l’esprit de la montagne), Toksong 독송 (l’ermite) et Chilsong 칠성 (l’esprit des sept étoiles, c’est-à-dire la Grande Ourse). Le bouddhisme coréen accepte et absorbe ces trois esprits, et encore de nos jours, des sanctuaires spéciaux sont prévus pour ces esprits dans les nombreux temples bouddhiques.

L’esprit de la montagne est celui qui reçoit une attention particulière afin d’apaiser les esprits locaux lorsque le temple se trouve sur une montagne. Ce mélange de bouddhisme et de chamanisme apparaît alors comme la spécificité du bouddhisme coréen, bien qu’il conserve toujours les enseignements fondamentaux de Bouddha.

Tout comme en Chine, le bouddhisme a évolué sur la péninsule coréenne à travers les différentes époques, passant d’une base idéologique à de sévères répressions.

À nouveau, il est possible de diviser l’expansion et le développement du bouddhisme sur la péninsule coréenne en quatre grandes périodes :

  • Les trois grands royaumes (18 av. notre ère – 935 de notre ère) ;
  • Silla unifiée (668 – 935);
  • Goryeo (918 – 1232);
  • Joseon (1392 – 1897).

Au IVe siècle, la péninsule coréenne est divisée en trois royaumes : au nord, Goguryeo 고구려 (37 av. J.-C. – 668 apr. J.-C), au sud-ouest, Baekje 백제 (18 av. notre ère – 660) et au sud-est, Silla 신라 (57 av. J.-C. – 945).

Source : KJS615 – Source : Wikimédia – Photos CC BY 3.0

Bien que la date officielle de l’introduction du bouddhisme dans la péninsule coréenne soit 372, les découvertes archéologiques permettent de déterminer que celui-ci aurait été présent bien avant puisqu’une tombe, datant du milieu du IVe siècle et découverte près de Pyongyang, présente des motifs bouddhistes dans la décoration de son plafond.

En 372, l’empereur Fu Jian 苻健 (317—355) de la dynastie des Qin 秦朝 (Chine) envoie le moine Sundo 순도 à la cour du roi Sosurim 소수림 de Goguryeo. Sundo apporte avec lui des textes et des statues bouddhistes qui sont rapidement acceptés par les dirigeants de Goguryeo et ses sujets. Le bouddhisme chinois, encore dans une forme rudimentaire, s’appuie sur la loi de la cause et des effets avec comme objectif principal, la recherche du bonheur. Cette forme rudimentaire et les préceptes de ce bouddhisme présentent de nombreux points communs avec le chamanisme présent à l’époque, ce qui facilite son assimilation au sein du royaume.

En 384, c’est le moine Marananta de Serinde qui arrive à Baekje. Tout comme pour Goguryeo, la famille royale ainsi que les sujets du royaume acceptent rapidement ses enseignements allant faire du bouddhisme la religion du royaume par le roi Asin 아신, afin de chercher le bonheur.

Bien que le bouddhisme arrive tôt au sein des royaumes de Goguryeo et Baekja, il n’atteint Silla qu’à partir du Ve siècle.

Portrait d’Ichadon en moine
Domaine public

Lors de son arrivée au royaume, le bouddhisme suscite l’intérêt de la population, mais fait face à une opposition de la part de l’aristocratie.

Lorsqu’en 527, un éminent officier de la cour du nom d’Ichadon, se présente au roi Pophung pour lui annoncer qu’il est devenu bouddhiste, ce dernier lui fait couper la tête. On dit que du lait serait sorti de ses blessures à la place du sang. Ce signe est accepté et présenté comme une manifestation du Ciel faisant du bouddhisme la religion d’État de la même année.

Cet épisode, devenu célèbre, est représenté par des peintures du temple de Haeinsa (province du Gyeongsang du Sud) et par un monument en pierre exposé au musée national de Gyeongju.

Au cours du règne suivant, celui du roi Chinhung, le bouddhisme est encouragé auprès de la population. Cet encouragement est notamment traduit à travers le hwarangdo (institution militaire, intellectuelle et artistique de Silla) : les jeunes hommes sont entraînés physiquement et spirituellement en suivant les principes bouddhistes afin de défendre le royaume. Plus tard, le roi Chinhung se fait également moine.

À la fin du VIe siècle, de nombreux moines coréens voyagent en Chine afin d’étudier le bouddhisme. Parmi les moines les plus connus, il est possible de retenir l’un des noms suivants : le moine Banya (562 ~ 613). Banya aurait suivi les enseignements du moine chinois Zhiyi, maître du Tiantai 天台 en compagnie de Gyeomik de Baekje. Il ira jusqu’en Inde pour apprendre le sanscrit et étudier les vinayas. Banya et Gyeomik rapportent de nombreuses écritures et deviennent missionnaires en Corée ainsi qu’au Japon où le bouddhisme a de plus en plus d’influence jusqu’au VIIIe siècle.

À cette époque, plusieurs écoles de pensées voient le jour dans la péninsule coréenne :

  • Samnon-Jong 삼론종, une école fondée sur la doctrine Madhyamika, le chemin du milieu ;
  • Yul-Jong 율종 (vinaya en sanscrit), une école qui se concentre sur l’étude et l’implémentation de la discipline morale ;
  • Yeolban-Jong 열반종 (nirvana en sanscrit), fondée sur les thèmes du mahaparinirvana-sutra.

Mais l’école ayant la plus grande importance est l’école Wonyung. Elle est formée vers la fin de la période des trois royaumes.

Cette école conduit à l’actualisation de la métaphysique de l’interpénétration définie préalablement par l’Avatamsaka sutra (Huáyán jīng 華嚴經 en chinois). Cette école et ses enseignements ont un succès particulier auprès de l’aristocratie puisqu’elle est considérée comme la meilleure école.

Portrait du moine Jajang
Domaine public

L’école Wonyung prend par la suite le nom de Hwaeom 화엄종 et prospère longtemps. Elle est également étroitement liée au Beopsong, une école coréenne de la pensée.

Le moine Jajang, issu de cette école, est reconnu comme étant un acteur majeur pour l’adoption du bouddhisme en tant que religion nationale et dans sa participation à la création du sangha 승가 coréen (forme de communauté bouddhiste).

La seconde grande période du bouddhisme sur la péninsule coréenne se situe durant la période de Silla Unifiée (668 – 935).

À partir de 668, le royaume de Silla parvient à unifier la péninsule coréenne offrant un siècle de stabilité politique, propice pour l’étude du bouddhisme.

Les domaines populaires sont le Wonyung 유가행파, soit une version orientale du yogacara, le jeogto 적토 (la terre de Bouddha) et le beopsong 법송, l’école de la nature du dharma. Finalement, c’est la pratique du jeongto qui obtient le plus de succès parmi les érudits et les laïcs.

C’est le moine Wonhyo 원효 (617 – 686) qui effectue son enseignement et permet au jeongto d’avoir une influence durable sur le bouddhisme coréen. Son travail consiste à synthétiser les doctrines chinoises et indiennes, à priori divergentes, sur la fonction-essence, prisée par les écoles philosophiques de l’époque.

Vingt ans plus tard, c’est la doctrine Hweaom qui a le plus de succès et d’influence sur le bouddhisme coréen grâce à Uisang 의상 (625 – 702), ami de Wonhyo. Les principes du Hweaom sont assimilés par l’école de méditation coréenne, l’école Seon 선, aussi connu sous les noms chan en chinois et zen en japonais.

Non seulement, le succès du bouddhisme coréen est fulgurant sur le territoire, mais il se disperse jusqu’à atteindre la Chine, le Japon et le Tibet. En-dehors de l’aspect religieux et philosophique, le bouddhisme coréen a une forte influence dans le domaine de la culture : peinture, littérature, sculpture et architecture.

De même, la période de Silla unifiée est une période de construction, et de nombreux temples voient le jour tels que le temple de Bulguksa, connue pour ses pagodes, et la grotte de Seokguram, connue pour ses sculptures.

À la fin de la période de Silla unifiée, une nouvelle phase du bouddhisme commence avec l’influence du Seon. La première introduction du Seon sur la péninsule coréenne est généralement attribuée à Beomnang puis popularisée par Sinhaeng et Doui.

À compter de ce moment, de nombreux Coréens partent étudier le Chan en Chine et établissent leurs écoles à leur retour, majoritairement dans des monastères en montagne. Au départ, le nombre d’écoles est fixé à neuf faisant appeler le Seon « l’école des neuf montagnes » (구산문 gusanmun).

La troisième période du bouddhisme coréen a lieu au cours de la dynastie Goryeo (918 – 1392).

Les écoles Seon sont alors considérées par la classe politique comme un mouvement radical et dangereux et les fondateurs des Gusanmun doivent faire face à une forte résistance, appuyée par l’influence que les écoles académiques lettrées du pays ont à la cour royale.

Cette lutte dure pendant presque toute la période Goryeo, mais petit à petit, l’école Seon s’impose avec pour argument qu’elle dispose de la vraie transmission de l’illumination. Plus tard, les écoles Seon, adoptent la position selon laquelle elles disposent d’une unité intrinsèque et d’une complémentarité mutuelle des anciennes doctrines (gyo 교) et du seon, en plus de la méditation.

Grâce à ces arguments et à une période favorable pour le bouddhisme coréen, le Seon s’épanouit et devient la religion de l’État en recevant de nombreux grands privilèges et en étant de plus en plus impliqué dans les affaires de la famille royale et de la cour.

Au cours de la seconde moitié de la dynastie de Goryeo, le bouddhisme entre en phase de déclin à cause de la corruption et de la montée d’un fort ressentiment philosophique et politique contre cette religion. De plus, à cette période, le confucianisme et le taoïsme commencent à avoir de plus en plus d’influence en tant que base de l’éducation officielle et viennent plus tard augmenter les tensions entre le bouddhisme et la classe politique.

La période de Goryeo est aussi la période la plus productive pour le bouddhisme. C’est à cette époque que date la production de la Tripitaka Koreana, un recueil de textes sacrés bouddhistes gravés dans des tablettes de bois. En 1210 et 1231, la première édition est préparée et détruite en raison des invasions mongoles de 1232, la seconde édition date de 1214 à 1259 et est aujourd’hui conservée au temple de Haeinsa.

Pendant près de 700 ans, la Tripitaka Koreana sert de référence pour le canon bouddhiste en Extrême-Orient. Le second ouvrage d’importance est le Jikji, anthologie des enseignements des grands-prêtres bouddhistes compilés par le moine Seon Baegun (1298 – 1374) avant d’être publié en 1377, faisant du Jikji le plus ancien ouvrage imprimé à l’aide de caractères mobiles en métal.

Au XIVe siècle, le royaume de Goryeo est considéré comme souffrant des excès du bouddhisme. Il y avait beaucoup trop de moines et de nonnes, dont de nombreux en-dehors du sangha. La majorité des individus ont rejoint le bouddhisme afin d’échapper aux taxations et au service gouvernemental. De plus, il y a également énormément de temples à soutenir et trop de rituels à réaliser ; le bouddhisme devient alors un frein important pour l’économie nationale.

Au sein du gouvernement, une corruption grandissante est présente et les autorités sont obligées à mener des guerres sur ses frontières nord et est. C’est dans cet environnement qu’un mouvement néo-confucéen et strictement anti-bouddhiste prend de plus en plus d’influence jusqu’à devenir une véritable puissance politique.

En 1388, le général Ye Seonggye renverse le gouvernement et devient le premier roi de la dynastie Joseon sous le nom de Taejo. Le roi Taejo est soutenu par les néo-confucianistes et le bouddhisme voit son influence de plus en plus réduite pendant les cinq siècles suivants.

Cette perte d’influence est visible à différents niveaux : réduction du nombre de temples (d’une centaine à 36), restriction à l’admission dans les sanghas, renvoi des moines et nonnes bouddhistes dans les montagnes avec interdiction de se mêler à la population et d’entrer dans les villes, interdiction des funérailles bouddhistes ainsi que de la mendicité, etc.

Au début de l’ère Joseon, le bouddhisme dispose toujours d’un influence forte, mais au fur et à mesure que le temps passe, il est rapidement limité à uniquement deux écoles, celles du Seon et du Gyo, puis uniquement à l’école Seon.

De temps en temps, un roi se révélait favorable au bouddhisme et donnait de nouvelles permissions à ses pratiquants, comme c’était le cas au début du règne de Myeongjeong (1547 – 1567). Par ailleurs, les actions menées par les moines lors des invasions japonaises (1592 – 1598), alors même que les conflits internes au gouvernement entravaient la stabilité et toute forme de résistance, valurent au bouddhisme d’être bien mieux toléré dans la péninsule à partir de la fin du XVIe siècle.

Et après ?

La dernière phase du bouddhisme a lieu durant l’époque contemporaine. Entre 1910 et 1945, soit la période d’occupation japonaise de la péninsule coréenne, le bouddhisme connait une grande souffrance, tout comme la population coréenne.

Les sangha doivent se soumettre à de nombreuses régulations émises par le gouvernement japonais. En plus de ces règles, les bouddhistes japonais demandent également le droit de faire du prosélytisme dans les villes, supprimant ainsi les interdictions mises en place par Joseon.

En raison de ce prosélytisme, la péninsule coréenne voit apparaître de nouvelles sectes telles que le bouddhisme Won (원불교 Wonbulgyo), aussi appelé le bouddhisme rond (en raison du symbole d’un cercle le représentant), et doit faire face aux missionnaires chrétiens qui provoquent davantage de conflits au sein de la communauté bouddhiste traditionnelle.

Les traditions bouddhistes japonaises entrent directement en conflit avec le style de vie des bouddhistes coréens telles que l’autorisation du mariage des prêtres bouddhistes, vivement encouragé par le gouvernement japonais. En plus de cette scission des pratiques, les temples bouddhiques connaissent de nombreux pillages et de nombreuses œuvres d’art sont emmenées au Japon, dont les négociations pour la restitution sont toujours en cours !

En 1945, à la libération, les moines célibataires de l’ordre Jogye 대한불교조계종 commencent à reprendre le contrôle des temples occupés par les prêtres mariés et nominés par les japonais. L’ordre Jogye se considère alors comme le principal représentant du bouddhisme coréen et appartient à l’école Seon. Sa pratique du bouddhisme reste proche du Seon de Goryeo avec la pratique de la méditation et l’étude des textes bouddhiques.

Cette pratique du bouddhisme et la vie des sangha sont alors davantage itinérantes : un moine dispose d’un monastère d’origine, mais voyage régulièrement entre les différents temples et y reste aussi longtemps qu’il le souhaite pour étudier les textes et enseigner.

Dans les années 1950, le président Syngman Rhee cherche à diviser et affaiblir les sangha bouddhistes. Une campagne de lutte contre le bouddhisme japonais est lancée à compter de 1954, campagne renforcée par la division de la population sur les questions de la pratique de l’éducation occidentale, de l’émancipation des femmes et des personnes défavorisées. De plus, la lutte entre les moines de l’ordre de Jogye et les prêtres mariés précipite le déclin de l’influence bouddhiste en Corée du Sud et offre un terrain propice aux missionnaires chrétiens.

Une tentative de trêve est initiée par Park Chung-hee, mais elle se solde par un échec, et en 1980, le bouddhisme coréen connait une nouvelle attaque par Chun Doo-hwan où de nombreux moines sont arrêtés et torturés par les forces armées.

Dans les années 1990, les conflits entre le gouvernement et les bouddhistes se poursuivent. Les bouddhistes sont accusés d’immoralité, laissant les missionnaires chrétiens gagner davantage de terrain. De nombreux temples sont incendiés, des statues de Bouddha vandalisées ou décapitées et des croix rouges apparaissent sur les murs des temples et les statues.

En Corée du Nord, le régime politique décourage la pratique d’une religion et surveille étroitement les religieux, peu importe leur pratique. Le pays comptait un peu plus de 500 temples, mais a vu ce nombre drastiquement baissé, passant à 60 temples, au profit de la fédération des bouddhistes de Corée, financée par le gouvernement.

Néanmoins, bien que le bouddhisme, tout comme les autres religions, soit surveillé, celui-ci est davantage toléré par les autorités, puisque le bouddhisme coréen est considéré comme un acteur majeur de la culture coréenne traditionnelle.

De nos jours, les bouddhistes représenteraient 23 % de la population en Corée du Sud et 2 % en Corée du Nord.

Le Japon

L’arrivée du bouddhisme au Japon

Le bouddhisme (仏教bukkyō) au Japon est importé de Chine et de Corée à partir des Ve et VIe, expliquant par ailleurs la forte influence du bouddhisme chinois et coréen. Cependant, le bouddhisme japonais est également fortement influencé par le shintoïsme, religion principale du Japon, née plusieurs siècles auparavant.

Tout comme en Chine, l’histoire du bouddhisme au Japon peut être divisée en trois grandes parties :

  • L’époque de Nara (710 – 794) ;
  • L’époque de Heian (794 – 1185) ;
  • La période post-Heian (1185 à nos jours).

Chacune de ces trois périodes a vu l’introduction de nouvelles doctrines ou l’évolution de la doctrine des écoles existantes et relevant des trois grands courants du bouddhisme.

Avant d’aborder la période de Nara, nous allons d’abord voir la période précédente, qui a joué un rôle important sur les époques qui ont suivies.

Lors de l’époque de Yamato 大和時代 (250 – 794), les Japonais estiment que le continent est supérieur à leur île et mettent en place une forte importation d’éléments chinois sur leur territoire, tout en les recopiant, triant et innovant d’eux-mêmes. Parmi ces éléments, la religion a une grande importance et ainsi, le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme sont arrivés sur le territoire japonais.

Pour la population locale, ces trois courants de pensée ne forment qu’un, mais avec des déclinaisons différentes.

En 552, selon le Nihon Shoki, l’empereur Kimmei aurait reçu de la part du roi Seong Myong, une statuette dorée de Sakyamuni et plusieurs rouleaux d’écritures bouddhiques. Cependant, des experts estiment que cet événement est uniquement rapporté dans le Nihon Shoki puisque le bouddhisme est introduit bien avant 552 au Japon.

L’introduction du bouddhisme au Japon fait face à certaines craintes de la part des conseillers de l’empereur, notamment en raison de leur croyance au shintoïsme.

Plus d’infos : Le shintoïsme, compagnon omniprésent du quotidien japonais

Malgré cette crainte, l’empereur décide de donner une chance au bouddhisme et demande à l’un de ses conseillers de construire un monastère dans sa demeure et y place une statue. Malheureusement, une épidémie se déclare à travers le pays et les conseillers, contre le bouddhisme, ordonnent de se débarrasser de cette statue, la jettent dans la rivière et brûlent le monastère. Cependant, l’épidémie se renforce et un incendie se déclenche au sein du palais impérial, la statue est récupérée et l’épidémie aurait pris fin.

Le bouddhisme s’implante définitivement au Japon grâce à l’empereur Yomei et son fils, Shotoku-taishi puisqu’il aurait commenté de nombreux sûtras bouddhiques et créé de nombreux monastères. À sa mort, le Japon compte un total de 46 monastères sur son territoire.

En 592, une lutte d’influence a lieu entre le shinto et le bouddhisme, mais c’est le bouddhisme qui est déclaré religion d’État.

En 675, l’empereur Tenmu promulgue les premières lois interdisant la consommation de viande d’animaux (bovins, chevaux, chiens, poulets et singes). Pendant près de 1200 ans, l’interdiction reste en vigueur.

Lors de son introduction, le bouddhisme a premièrement touché les classes sociales aisées avant d’atteindre la population en général, cela est dû à la différence d’éducation entre les différentes couches sociales japonaises.

La première période d’importance pour le bouddhisme est l’époque de Nara (710 – 794). C’est au cours de cette période que naissent les écoles bouddhiques appelées les « Six écoles de la capitale du sud » 南都六宗 Nanto roku shū, Nara étant la « capitale du sud » à ce moment.

Les différentes écoles sont alors :

  • Hossō-shū 法相宗 : elle s’appuie sur la doctrine de « l’esprit pure » et est inspirée de l’école wéishí zōng chinoise ;
  • Jōjitsu-shū 成実宗 : elle s’appuie sur la doctrine de l’étude du Satsyasiddhi-çastra (traité de l’établissement de la vérité) et originaire de Chine ;
  • Kegon-shū 華厳宗 : elle s’appuie sur la doctrine de l’Avatamsaka sutra (Sûtra de l’ornementation fleurie). Originaire de Chine, notamment de l’école Huayan, elle arrive au Japon à travers le bouddhisme coréen Hwaeom 화엄종 ;
  • Kusha-shū 倶舎宗 : elle s’appuie sur la doctrine de l’Abidharmakosha du philosophe indien Vasubandhu. Comme l’école Hossō, elle est originaire de Chine ;
  • Ritsu-shū ou Risshū 律宗 : elle est spécialisée dans le vinaya. Originaire de Chine, elle suit la voie de la discipline ;
  • Sanron-shū 三論宗 : l’école de la vacuité, elle est fondée sur les trois shastras fondamentaux du Madhyamaka.

La différence entre ces différentes écoles à retenir est que Hossō, Jōjitsu, Kusha et Ritsu appartiennent à la tradition indienne du bouddhisme. Les écoles Kusha et Ritsu suivent traditionnellement le Petit Véhicule alors que l’école Jōjitsu est une école de transition entre le Petit et le Grand Véhicule. Les écoles Sanron et Kegon sont issues du Grand Véhicule. De nos jours, seules les écoles Hossō, Kegon et Ritsu perdurent.

Ces six écoles seront fondamentales pour l’implantation du bouddhisme sur l’archipel nippon puisque ces dernières vont évoluer, se transformer et se diffuser davantage jusqu’à devenir le bouddhisme japonais que nous connaissons de nos jours.

Au début de la période de Heian, deux nouveaux courants, originaires de Chine, vont apparaître :

  • Shingon-shū 真言宗, elle s’appuie sur le courant vajrayana ;
  • Tendai-shū 天台宗, elle s’appuie sur le sûtra du Lotus.

Vers la fin de l’ère Heian et au cours de l’ère Kamakura (1185 – 1333), le Japon assiste à l’introduction du chan, qui deviendra le zen japonais, depuis la Chine. A la suite de l’apparition de cette nouvelle doctrine, de nouvelles écoles voient le jour : les écoles Jōdo, Jōdo Shin et Yūzū nembutsu.

Le bouddhisme japonais zen se développe en même temps qu’un nouveau bouddhisme voit le jour : le bouddhisme de Nichiren 日蓮仏教.

C’est aussi au cours de cette période que le Shugendō (修験道), syncrétisme entre bouddhisme et shintoïsme, connaît un développement important.

Pratiquants du shugendō dans les monts Kumano.
Crédits photos : Toyama Kenshirô – Photos CC BY 3.0

Le Shugendō (修験道) est une tradition spirituelle japonaise influencée par le bouddhisme vajrayana. Dans cette tradition, la relation entre l’homme et la nature est l’élément primordial. Cette pratique est réalisée depuis bien avant le VIIIe siècle par la population nipponne vivant aux pieds des montagnes après avoir donné un caractère divin à ces montagnes selon leur croyance.
L’arrivée du bouddhisme renforce ces croyances de la population autochtone et permet aux pratiquants de se regrouper aux pieds de certains monts spécifiques avec l’apport de rites et concepts à cette tradition spirituelle.
En 1872, le Shugendō est interdit par le gouvernement de l’ère Meiji dans le cadre de la loi séparatiste entre le shintoïsme et le bouddhisme.

A l’ère Edo, c’est le zen japonais qui prend le plus d’ampleur, et c’est lui qui connaît le développement le plus important.

Une nouvelle école zen à l’aspect particulier voit le jour, il s’agit de l’école Ōbaku 黄檗宗. Cette école ajoute des éléments de la Terre Pure, soit faire le culte à Amitābha, dans sa pratique. Elle est fondée par deux moines bouddhistes chan chinois ayant fuit la Chine continentale à la chute de la dynastie Ming face aux mandchous.

En 1872, sous l’ère Meiji, un édit est promulgué afin d’interdire la consommation de la viande pour les bouddhistes. Cette pratique, déjà acquise au cours de l’ère Edo, est ainsi inscrite dans la pratique japonaise.

De nos jours, le Japon a vu le développement de nouveaux mouvements religieux en plus dont certains d’inspiration bouddhiste :

  • Les courants déviés du bouddhisme de Nichiren et basé sur le sutra du Lotus : Reiyūkai 霊友会 ou la Sōka gakkai 創価学会 ;
  • Les courants issus du bouddhisme ésotérique Shingon et basés sur le sutra du Grand Nirvana : Shinnyo-En 真如苑 ;
  • Les courants syncrétistes mêlant shintoïsme et bouddhisme : Sukyo Mahikari 崇教真光 ou Tenrikyo 天理教 ;
  • Les courants syncrétistes mêlant différents aspects des différents bouddhismes et se recentrant autour d’une figure emblématique. Dans ce cas, nous pourrions nous rapprocher du fonctionnement des courants à dérives sectaires, comme c’est le cas pour la secte Aum Shinrikyo オウム真理教 ayant mené des actes de terrorisme à Tokyo en 1995.

Au cours de son histoire, la naissance de nombreuses écoles bouddhistes aux développements très divers rend la situation du bouddhisme au Japon très complexe. Au Japon, aujourd’hui, il y aurait un peu plus de 184 000 groupes religieux répertoriés au Japon mais ce serait le bouddhisme zen qui serait majoritaire.

Pour conclure

Nous arrivons au bout de nos articles consacrés au bouddhisme. Comme nous l’avons indiqué dans l’avant-propos de l’article, il reste un sujet complexe et extrêmement riche.

Dans ces articles, nous avons uniquement abordé la surface de ce sujet et j’espère avoir réussi à retranscrire les concepts principaux ainsi que l’histoire et son développement dans les pays qui sont la Chine, le Japon et la Corée.

Le plus complexe dans l’écriture de ces articles a sans aucun doute été de parvenir à parler du bouddhisme sans intégrer les éléments des autres philosophies et religion, surtout le shintoïsme pour le Japon et le taoïsme qui a joué un rôle majeur dans l’évolution du bouddhisme dans les trois pays.

Nous aborderons le taoïsme dans un futur article culturel et nous verrons un peu plus en détail son influence dans le bouddhisme.

Pour aller plus loin

Pour la partie sur le bouddhisme coréen

Livres :

Ressources disponibles gratuitement en ligne et issues d’expositions :

  • Une exposition et un livret sur le bouddhisme coréen au centre culturel coréen
  • Épigraphie bouddhique de la Corée médiévale (Xe – XIV e s.) : les carrières monastiques décrites dans les épitaphes enterrées de religieux, Yannick BRUNETON (2022) (lien)
  • Les institutions « hors codes » de Koryŏ (918-1392). Le bouddhisme et la construction de l’État dans la Corée médiévale, Yannick BRUNETON (2005) (lien)

Pour la partie sur le bouddhisme japonais

Livres :

  • Quelque chose du Japon, Angelo Di Genova, Nanika (2020)
  • Le bouddhisme japonais, Emile Steinilber-Oberlin, Sully Le Prunier (2018)
  • Torii, temples et sanctuaires japonais, Joranne, Sully Le Prunier (2021)

Ressources disponibles gratuitement en ligne :

  • Religion et conflit au Japon, Le Shintô et le sanctuaire de Yasukuni, Michael Paye (2002) (lien)
  • Le bouddhisme médieval japonais en question, Frédéric Girard (2000) (lien)
  • Bouddhisme et terrorisme dans le Japon ultranationaliste. La Conjuration du Sang, Pierre Lavelle (2005) (lien)
  • Le Reiyukai japonais en France : entre religion et mouvement de transformation personnelle, Louis Hourmant (1998) (lien)

Publié par Corall

Passionnée par l'Asie depuis mon plus jeune âge, j'ai eu la chance de pouvoir visiter certains de ses pays, et notamment, la Chine, le Japon et la Corée du Sud. J'ai également eu la chance de pouvoir vivre un an en Chine dans le cadre de mes études et souhaite aujourd'hui vous faire découvrir les incroyables expériences que nous avons pu vivre lors de nos séjours.

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